Église

Notre-Dame doit servir la gratuité

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2024 - 626 mots

La restauration de Notre-Dame de Paris, qui rouvre le 7 décembre, n’a rien coûté au budget de l’État. Elle a bénéficié de l’opération de mécénat culturel la plus importante jamais réalisée en France..

La cathédrale Notre-Dame de Paris, le 13 juillet 2024 © Photo Ludovic Sanejouand pour LeJournaldesArts.fr
La cathédrale Notre-Dame de Paris, le 13 juillet 2024.
© Photo Ludovic Sanejouand pour LeJournaldesArts.fr

350 000 donateurs, dont 30 % d’étrangers. Des fortunés dont on a parlé, mais aussi des anonymes qui ont versé un total de 850 millions d’euros. Une somme dépassant largement les besoins du chantier. Du jamais vu ! Les deux tranches de travaux nécessitaient 700 millions d’euros. Restent donc 150 millions d’euros. Ils sont « fléchés », ne peuvent être rétrocédés aux donateurs ou affectés à d’autres chantiers, comme la restauration d’églises en France. Ils vont donc financer des travaux de la cathédrale déjà prévus par le propriétaire, l’État, avant l‘incendie. L’État va donc faire des économies.

Pour ces raisons d’abord, Rachida Dati a tort de vouloir facturer l’entrée de la cathédrale, comme elle vient de l’annoncer. Quel manque de reconnaissance d’exiger 5 euros, comme elle le suggère, de donateurs qui aimeraient venir voir sur place à quoi a contribué leur don. Alors qu’avant le 15 avril 2019, ils pouvaient entrer gratuitement dans l’édifice. Pas mieux pour décourager le mécénat individuel. Erreur aussi ensuite parce que, plus généralement, cette décision porterait un coup à l’engagement inébranlable de communautés diverses, croyantes ou athées, catholiques ou non, de tous horizons politiques en faveur de ce monument. Quel autre symbole patrimonial en France, porteur de plusieurs sens, spirituel et culturel, fédère autant d’adhésions ? Avec Notre-Dame, existe encore au cœur de Paris, sur l’île de la Cité, un espace où tout le monde peut entrer gratuitement. Un lieu qui offre un accueil inconditionnel, universel. C’est cela aussi notre patrimoine. Préservons-le, n’offrons pas tout à la marchandisation.

La ministre de la Culture a précisé ensuite vouloir réserver le paiement aux seules visites culturelles ou touristiques et non à la participation aux offices, comme cela se pratique dans quelques cathédrales en Europe (Barcelone et Séville, mais pas Madrid, Milan, mais pas Rome). Tablant sur 15 millions d’entrées, persuadée que la tarification ne dissuadera pas des visiteurs, elle invoque la solidarité territoriale pour reverser 75 millions d’euros aux églises dans le besoin. Notre-Dame paierait pour les pauvres. Son idée n’est pas nouvelle. Déjà en 2017, Stéphane Bern avait suggéré de faire payer l’accès aux cathédrales. La ministre aura-t-elle plus de succès ? Sans doute pas, car en l’occurrence ce n’est pas elle qui décide. La loi de 1905 stipule que si l’État est propriétaire des cathédrales érigées avant cette date, celles-ci restent affectées au culte de façon permanente, totale et gratuite. Et elle s’y est plutôt mal prise pour convaincre l’affectataire de changer de position ou pour engager la modification d’une loi clivante sur la laïcité. « Pèlerins et visiteurs n’ont jamais été distingués, les offices sont célébrés pendant les visites et les visites se poursuivent durant les offices, la position de l’Église sur la gratuité du droit d’entrée est inchangée », lui a signifié le clergé. Cela n’empêche pas ce dernier de faire payer l’accès aux tours de Notre-Dame ou à la crypte, comme c’était déjà le cas avant l’incendie, car ces parties ne relèvent pas du culte.

40 068 églises en France, construites avant 1905, sont, elles, propriété des communes. 2 145 sont propriété des diocèses. L’Observatoire du patrimoine religieux vient de révéler ces chiffres, après avoir pu inventorier 87 des 94 diocèses. 1 679 édifices cultuels sont fermés à l’année. Pas seulement à cause de l’usure du temps, mais de la désaffection. Des églises sont abandonnées, n’ont plus de fidèles. En un demi-siècle, le catholicisme a régressé de 70 % à 32 % de la population française. Notre pays n’a jamais été le pays d’une seule religion. Il l’est encore moins aujourd’hui. Un vrai sujet de politique du patrimoine et de société.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Notre-Dame doit servir la gratuité

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