Musée

Nancy joue l’harmonie pour son musée rénové

Une extension remarquable où architecture et muséographie forment une véritable alliance

Par Nathalie Jérosme · Le Journal des Arts

Le 5 février 1999 - 1111 mots

Après trois ans de fermeture et de travaux d’extension, le Musée des beaux-arts de Nancy rouvre ses portes. Plus qu’un simple agrandissement, le nouvel établissement offre les fruits d’un véritable travail de réflexion, mené conjointement par l’architecte et les conservatrices. Rarement l’harmonie entre l’accrochage et l’architecture, les œuvres et leur éclairage, aura été poussée aussi loin.

NANCY - Les musées se développent au gré des dépôts, des dons et des acquisitions. Ils vieillissent aussi au gré de ces enrichissements. Créé en 1793 à partir de saisies révolutionnaires, le Musée des beaux-arts de Nancy s’est vite trouvé à l’étroit dans le pavillon du Collège de médecine conçu en 1755 par Emmanuel Héré, l’auteur de la place Stanislas. En 1936, une première aile est ajoutée par les architectes Jacques, Michel et Émile André. Mais quelques années plus tard, la place manque à nouveau et des mezzanines sont construites, trahissant les espaces originaux. Avec la dernière extension, inaugurée le 6 février, l’établissement devrait connaître un répit de plusieurs décennies : il a doublé de surface, accueille des centaines d’œuvres supplémentaires sur ses cimaises et s’est enrichi des services que l’on attend d’un musée moderne.

Surtout, il offre de très belles conditions de visite, grâce à l’admirable travail sur l’éclairage et sur l’espace auquel s’est livré l’architecte lorrain Laurent Beaudouin. En écho aux bâtiments existants, il a voulu que son extension soit aérienne en bas et opaque à l’étage, avec un fort sentiment d’horizontalité. La nouvelle aile comprend deux niveaux et plusieurs salles sur sa largeur. Ces espaces différenciés, utiles pour l’accrochage, risquaient néanmoins de poser des problèmes d’éclairage, étant donné que le rez-de-chaussée ne s’ouvre que du côté de la place Stanislas, sur un jardin. La lumière naturelle baignant les œuvres surprend d’autant plus. Des trouées dans le plafond ou à la jonction des murs engendrent de nouvelles sources d’éclairage dans les parties les plus éloignées des baies, tandis que, pour éviter tout effet de lumière latérale au niveau du jardin, l’étage en surplomb de plusieurs mètres apporte une ombre calculée, compensée par la présence de miroirs d’eau.

Le seul espace dont l’éclairage soit entièrement artificiel se trouve au sous-sol, où ont été découverts et mis en scène des vestiges de fortifications remontant au XVe siècle. Tout autour d’un bastion aménagé en auditorium, des centaines de vases de la collection Daum émergent de l’obscurité, comme une forêt de verre.

Une subjectivité assumée
La très réussie réalisation de Laurent Beaudouin a visiblement inspiré les conservatrices Béatrice Salmon et Clara Gelly-Saldias, qui ont entièrement revu le parcours et l’accrochage, dans un souci d’osmose avec le bâtiment et son histoire. Ainsi, une fois franchi le beau hall d’entrée dû à Emmanuel Héré, le visiteur débouche directement sur une salle consacrée au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Passant imperceptiblement de l’aile de 1936 à l’extension contemporaine, le circuit se développe ensuite chronologiquement jusqu’au début des années quarante, pour replonger, à l’étage, dans les prémices de la Renaissance italienne et se clore sur le XVIIIe siècle, dans le pavillon de la même époque. “Avec ce parcours en boucle, nous avons voulu éviter une linéarité chronologique réductrice, au profit d’un dialogue avec l’architecture, explique la conservatrice en chef Béatrice Salmon. De ce parti pris découle un musée original, où les coups de cœur et l’effet d’ensemble des salles prennent le pas sur la traditionnelle présentation par mouvements artistiques.

L’harmonie des œuvres avec l’édifice, leur qualité et leur format comptent presque autant que la chronologie, l’appartenance à une école ou le thème pour définir l’accrochage. Un couloir relie la section de la première Renaissance aux courants maniéristes italiens ? Qu’à cela ne tienne. Il devient une galerie de portraits où se côtoient Corneille de Lyon et Jacopo Bassano. Quant aux vedute, paysages de ruines et tableaux intimistes du XVIIIe siècle, ils prennent tout naturellement place dans la succession des petits salons de l’ancien Collège de médecine.

Le parcours gagne en rapprochements insolites et en multiplication des niveaux de visite ce qu’il perd du point de vue didactique. C’est particulièrement marquant dans la partie moderne, conçue en quatre sections parallèles, où l’on progresse par travées. Une allée centrale, véritable rue intérieure, accueille les pièces phares de la collection, de Rodin à Picasso en passant par Manet, Monet, Henri-Edmond Cross, Duchamp-Villon et Kupka. Chacun de ces jalons introduit d’un côté à des salles thématiques – les peintres lorrains des deux dernières décennies du XIXe siècle, l’Impressionnisme, le Néo-impressionnisme, les Nabis, le Fauvisme, l’Expressionnisme, le Cubisme –, et de l’autre à des grands formats, principalement décoratifs, tel Le démolisseur de Paul Signac. Des études préparatoires et des œuvres plus intimistes sont mises en valeur dans des niches en granit sombre avançant sur le jardin.

Le prix de la quantité
Ces espaces hiérarchisés ont permis de procéder par endroits à un accrochage très serré, voire – pour la collection rassemblée par les époux Galilée entre 1919 et 1930 – de créer une réserve visitable. Ainsi, 47 dépôts du Louvre, d’Orsay et du Musée national d’art moderne ont pu enrichir les cimaises du musée, et des centaines de pièces sont sorties des réserves. Parmi celles-ci figurent par exemple un Foujita, une copie à l’huile par le sculpteur Maillol d’une composition de Puvis de Chavannes, des grands formats de peintres lorrains, comme les Voluptueux de Victor Prouvé ou la Douleur d’Émile Friant, et une soixantaine de vases, coupes et objets en verre du fonds Daum. Conséquence de cette brutale augmentation du nombre d’œuvres exposées, la section moderne présente plusieurs tableaux de qualité générique. Mais, comme le souligne Béatrice Salmon, la conservatrice en chef, “c’est aussi une façon de rappeler au visiteur que ce qu’il voit n’est que la partie émergée de l’iceberg.”

Bien qu’elles aient également profité du redéploiement, les collections d’art ancien restent essentiellement composées de pièces maîtresses, sans compter les chefs-d’œuvre comme La Vierge, l’Enfant et saint Jean du Pérugin ou l’Annonciation du Caravage. Il est d’autant plus dommage que les couleurs des cimaises soient aussi tape-à-l’œil. “Dès le départ, nous voulions assumer le fait qu’exposer une œuvre dans un musée provoque une esthétisation, explique Clara Gelly-Saldias, en charge de l’art ancien. L’architecture très lumineuse de Laurent Beaudouin nous a ensuite poussés à utiliser des couleurs saturées et vives”. Tout a un prix : l’alliance entre l’architecture et la muséographie aura aussi apporté quelques effets contestables.

Musée des beaux-arts de Nancy, 3 place Stanislas, 54000 Nancy, tél. 03 83 85 30 72, tlj sauf mardi et jours fériés 10h30-18h, entièrement accessible aux handicapés, entrée 30 F, TR 15 F. Guide du musée, Collections du Musée des beaux-arts de Nancy, regards, 240 p., 120 F. Livrets-jeux thématiques pour enfants et adultes, Petits parcours, 10 F.

Le chantier en chiffres

- Durée de la fermeture : 3 ans (31 décembre 1995 - 6 février 1999). - Calendrier des travaux : avril 1996 - juin 1998 - Coût des travaux : 117 millions de francs, dont 36 millions apportés par l’État et la Drac, 7,6 millions du Conseil général de Meurthe-et-Moselle et 73,4 millions de la Ville de Nancy. - Surface totale : 9 130 m2 (contre 4 488 m2 avant travaux). - Surface des réserves : 615 m2 (contre 235 m2 avant travaux) - Parcours permanent : 3 600 m2 (contre 1 540 m2 avant travaux). - Nouveaux espaces : deux salles d’exposition de 240 m2 chacune, une salle de documentation, un auditorium de 200 places, une librairie avec une borne de consultation multimédia en accès libre, 271 m2 d’ateliers techniques, une salle pour l’association des Amis du musée. - Œuvres exposées : 543 peintures (contre 340 avant travaux), une quarantaine de sculptures et 216 pièces de la verrerie Daum, soit 40 % d’œuvres supplémentaires. - Collections : 1 750 peintures du XIVe au XXe siècle, 42 sculptures du XXe siècle, 5 000 dessins, 5 000 gravures dont 787 Callot, 384 pièces de la collection Daum, 1 000 œuvres d’art d’Extrême-Orient, 10 000 ouvrages consacrés à l’histoire de l’art. - Coût des campagnes de restauration depuis 1993 : 4 315 000 francs.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°76 du 5 février 1999, avec le titre suivant : Nancy joue l’harmonie pour son musée rénové

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