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Musée Camille-Claudel, un démarrage difficile

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 2020 - 870 mots

NOGENT-SUR-SEINE / AUBE

Près de deux ans après son ouverture, le musée pâtit encore des problèmes issus de son partenariat public-privé et peine à trouver son public.

Le Musée Camille-Claudel a ouvert en 2017 à Nogent-sur-Seine. © Photo Marco Illuminati.
Le Musée Camille-Claudel a ouvert en 2017 à Nogent-sur-Seine.
© Photo Marco Illuminati.

Une architecture élégante signée Adelfo Scaranello et saluée par une Équerre d’argent en 2017, une artiste à la renommée mondiale, des collections et un parcours riches et passionnants sur l’acte de création en sculpture, une équipe de conservation jeune et dynamique : depuis son ouverture en 2017, le Musée Camille-Claudel à Nogent-sur-Seine a pour lui de très beaux atouts et, sur le papier, la réussite de ce musée situé à une heure seulement de Paris en train aurait dû être assurée. Mais c’est sans compter les circonstances de sa naissance, les aléas d’un chantier catastrophique et les finances d’une municipalité grevées par un musée dont elle semble avoir la charge malgré elle. Le tout sur fond de rivalités locales bien enracinées.

En 2008, l’achat de près de 70 œuvres de Camille Claudel pour un montant de 13 millions d’euros par la Ville de Nogent-sur-Seine, des œuvres issues de la collection de Reine-Marie Paris, petite-nièce de la sculptrice, avait suscité enthousiasme et inquiétude. Enthousiasme pour un ensemble qui permettrait de placer Nogent sur la carte touristique. « Comme l’on associe le nom de Claude Monet à Giverny, on associera le nom de Nogent-sur-Seine à Camille Claudel », se félicitait le maire d’alors, Gérard Ancelin (DVD). Inquiétude du côté de l’opposition, qui jugeait le projet disproportionné par rapport à la taille de la commune (6 000 habitants).

Un chantier laborieux

En 2012, un partenariat public-privé (PPP) avec le constructeur SNC-Lavalin, fleuron canadien de l’ingénierie et du béton, est acté. Pour un montant prévisionnel de près de 18 millions d’euros hors taxes, le contrat comprend la conception, la réalisation, le financement, ainsi que l’exploitation technique du musée pour une durée de vingt-sept ans. La Ville évitait ainsi de grever son budget d’investissement alors qu’elle paie encore les mensualités d’acquisition de la collection et lissait les loyers sur un quart de siècle.

Mais le chantier se révèle laborieux. Les plans doivent être corrigés en cours de route pour répondre au projet scientifique et culturel repris en urgence par Françoise Magny, conservatrice honoraire appelée à la rescousse du volet scientifique de l’opération. En 2014, un nouveau maire est élu, Hugues Fadin (DVD), méfiant vis-à-vis d’un partenariat public-privé jugé trop onéreux et mal équilibré. En 2015, un rapport de la Cour des comptes vient lui donner raison, épinglant les éléments du contrat. En 2016, après une fin de chantier chaotique et une remise de clés reportée plusieurs fois, Hugues Fadin prend la décision de dénoncer le PPP, et rompt le contrat pour faute, avant que le musée n’ouvre enfin en mars 2017, versant au passage au constructeur 6,75 millions d’euros d’indemnités.

Fissures, fuites, carrelages soulevés…

Mal rédigé, comme le dénonce un rapport de la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne dès 2014, le contrat comporte de nombreuses imprécisions sur les devoirs et les droits des parties prenantes. Et rend l’affaire très complexe. Depuis trois ans, experts et avocats affûtent leurs arguments et se renvoyent mutuellement la balle. Tribunal administratif, cour d’appel, Cour de cassation : les contentieux se multiplient entre SNC-Lavalin et la Ville de Nogent sur les sommes dues.

Pour remédier à la situation, le préfet de l’Aube avait saisi la chambre régionale des comptes Grand-Est sur l’un des volets juridiques du litige qui oppose la Ville au constructeur. Las, la chambre s’est déclarée incompétente à la fin de l’année 2019, renvoyant les parties devant le juge.

L’inquiétude des édiles grandit d’autant plus que le bâtiment se dégrade. Régulièrement, les services techniques découvrent dans l’édifice fissures, fuites, carrelages soulevés et vitres à remplacer, selon l’équipe municipale. En juillet 2019, Hugues Fadin s’en exaspère dans les colonnes de la presse locale : « Quotidiennement, le personnel est confronté à un tas de problèmes. Depuis l’ouverture il y a deux ans, il n’y a que ça ! »

Autre sujet d’inquiétude : la baisse constante du nombre de visiteurs : 51 000 en 2017, 33 000 en 2018, 15 000 sur les sept premiers mois de 2019. Des résultats en deçà des projections espérées à la naissance du projet. Au conseil municipal, l’opposition dénonce une absence de collaboration sur le sujet avec le Département et la Région pour mutualiser les actions et les supports de communication. Gilles Robert, élu de l’opposition, écrit ainsi : « Une trop grande frilosité dans les moyens mis en place sous prétexte de bonne gestion risquerait de limiter l’impact des opérations de communication. » L’installation d’une nouvelle institution prend du temps, tempère Cécile Bertran, directrice du musée depuis son ouverture en 2017. Un service communication a été mis en place pour alimenter la stratégie de promotion du musée, à destination à la fois de la population locale et des tours-opérateurs. Énergique, l’équipe du musée construit la programmation entre exigence scientifique et contenus grand public. La tâche n’est pas simple : aux portes de l’Île-de-France, le musée évolue dans un paysage de sites culturels très concurrentiel.

À Nogent, où 4 millions d’euros ont été provisionnés pour faire face aux futures décisions judiciaires, les crédits d’investissement sont examinés à la loupe, et la communication coûte cher.

Une chose est sûre, le musée devrait être au centre des prochaines élections municipales.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Musée Camille-Claudel, un démarrage difficile

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