Portugal - Musée

L’héritage en pointillé du nouveau Musée d’art contemporain de Lisbonne

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2025 - 784 mots

Le MAC / CCB succède au Musée Berardo dans une relation ambivalente avec la collection de l’homme d’affaires.

Le MAC/CCB à Lisbonne. © Estelle Valent
Le MAC / CCB à Lisbonne.
© Estelle Valent

Lisbonne (Portugal). En octobre 2023, le Centre culturel de Belém célébrait en grande pompe l’inauguration en ses murs de son nouveau musée d’art contemporain dénommé MAC / CCB, pour Musée d’art contemporain / Centre culturel de Belém. Ce nouveau musée doit cependant composer avec un héritage à la fois encombrant et indispensable : la collection Berardo.

À son ouverture en 1992, l’immense CCB construit sur les bords du Tage en face du célèbre monastère des Hiéronymites a d’abord fonctionné comme un centre de conférences et un espace institutionnel pour les réunions de haut niveau liées à la présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne cette année-là. C’est après cette phase institutionnelle qu’il est devenu un centre culturel – le plus grand du Portugal – avec des spectacles, un centre de conférences et un espace d’exposition. Une sorte de Forum Humboldt dans le récent château de Berlin, en plus méditerranéen.

En 2007, l’homme d’affaires José Manuel Berardo (né en 1944), qui a fait fortune dans les mines et dans la banque, met en dépôt au CCB sa prestigieuse collection d’art moderne et contemporain tandis que l’espace d’exposition est renommé Musée de la collection Berardo. Mais en 2019, l’État portugais saisit sa collection qui servait de garantie à des prêts bancaires d’un montant d’un milliard de dollars qu’il n’avait pas remboursés. Il a même été brièvement incarcéré pour des soupçons de fraude. En 2019, Courrier international titrait ainsi son article résumant la presse portugaise : « Joe Berardo, l’homme d’affaires criblé de dettes qui révolte le Portugal ». Tandis que les procédures judiciaires sont toujours en cours, l’État décide de laisser les 900 œuvres de sa collection au CCB qui entreprend alors de créer un véritable musée autour de ce noyau enrichi de deux autres collections, celle du fonds d’investissement Holma / Ellipse acquis par l’État, et celle de l’avocat Teixeira de Freitas prêtée au MAC / CCB.

Mais le cœur de la collection reste la collection Berardo. « C’est un nom connu et un actif important pour le nouveau musée, explique Nuno Vassallo e Silva, le président du CCB. L’enjeu est de garder cette collection. » Si l’État reste propriétaire de la collection à l’issue des procédures judiciaires, le MAC / CCB a toutes les chances d’en être dépositaire car Lisbonne manque singulièrement d’un grand musée public d’art contemporain. Le bien mal-nommé « Musée national d’art contemporain » est surtout un musée d’art portugais de la fin du XIXe siècle à 1945. Il fait pâle figure face à la richissime Fondation Gulbenkian qui vient d’inaugurer son nouveau centre d’art d’aujourd’hui. Mais celui-ci ne présente pas d’ensemble permanent d’art moderne et contemporain international.

Par son bâtiment, son budget (23 M€ par an dont 10,5 M€ de subvention) et son rayonnement (125 000 spectateurs pour le théâtre et la musique et 590 000 visiteurs aux expositions), le CCB peut faire grandir le MAC. D’autant que Nuno Vassalo e Silva vient enfin de concrétiser un projet qui remonte aux origines du CCB : construire un hôtel et des galeries commerciales dans le prolongement du bâtiment. Ce partenariat public/privé qui doit aboutir en 2030 va apporter de nouvelles ressources au centre.

Un récit recomposé de l’art du XXe siècle  


Exposition. Comment bâtir une exposition semi-permanente représentative de l’art moderne et contemporain international à partir de trois ensembles disparates ? C’est la mission qu’a acceptée l’Espagnole Nuria Enguita qui a longtemps dirigé la Fondation Tàpies à Barcelone puis l’IVAM à Valence avant d’en démissionner après des allégations de conflit d’intérêts. Sitôt arrivée il y a un an, elle s’est attelée à raconter l’histoire de l’art moderne et d’après-guerre de la révolution du cubisme à une autre révolution celle qui a conduit à la fin du dictateur au Portugal (1974) puis peu de temps après à la décolonisation (Angola, Mozambique). Malgré la promesse – devenue un topos – d’offrir une relecture disruptive de l’histoire de l’art et de mettre en avant « des formes artistiques habituellement mises de côté », le parcours déroule les grandes étapes traditionnelles : du cubisme au pop art avec quelques points forts liés à la collection tels que le surréalisme et l’Op Art. Mais comme il faut bien combler les trous dans sa collection, notamment l’absence d’artistes femmes, Nuria Enguita a inséré au milieu du parcours une exposition consacrée à celle de Peggy Guggenheim en 1943 au titre explicite « 31 femmes ». Elle n’a en revanche pas encore réaccroché la collection semi-permanente d’art contemporain qui repose – là aussi – beaucoup sur le fond Berardo. Malgré ses faiblesses, l’ensemble se tient et offre pour la première fois à Lisbonne un panorama de l’art du XXe siècle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : L’héritage en pointillé du nouveau Musée d’art contemporain de Lisbonne

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