Spécial Covid-19 - Musée

Les musées dans l’attente du déconfinement

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2020 - 856 mots

FRANCE

La réouverture sans date officielle encore annoncée des lieux culturels, dont les sites patrimoniaux, est un casse-tête pour leurs directeurs.

La Bourse de Commerce en mars 2020. © Photo Marc Dommage/Pinault Collection. © Tadao Ando Architect & Associates, NeM/Niney & Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier, Setec Bâtiment.
La Bourse de Commerce en mars 2020
© Photo Marc Dommage / Pinault Collection. © Tadao Ando Architect & Associates, NeM/Niney & Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier, Setec Bâtiment.

Quand allons-nous rouvrir ? La question hante tous les directeurs de musées. « On est dans le flou », témoigne Guy Tosatto, le directeur du Musée de Grenoble qui va tous les jours à son bureau. « C’est épuisant nerveusement, avoue Jean-François Hebert, le président du château de Fontainebleau, les paramètres changent constamment. » Si l’annonce par Emmanuel Macron d’un déconfinement progressif à partir du 11 mai a suscité beaucoup d’espoirs, les lieux accueillant du public, dont les musées, resteront fermés à toute visite « jusqu’à nouvel ordre ». C’est moins catastrophique que pour les festivals de printemps et d’été qui sont annulés dans leur très grande majorité, mais cela reste très problématique.

Le scénario qui semble se dégager parmi les chefs d’établissement consultés est celui d’une réouverture progressive pour les salariés à partir du 11 mai, afin de mettre en place les mesures sanitaires permettant d’accueillir les visiteurs d’ici l’été. « Le personnel qui ne peut pas télétravailler a hâte de revenir », explique Philippe Bélaval, le président du Centre des monuments nationaux (CMN) qui gère une centaine de lieux et emploie plus de 1 500 personnes. « Fort heureusement, nous n’avons eu que quatorze cas de contamination, dans deux foyers très localisés », précise le président. « Il va falloir nous équiper en masques, en gel hydroalcoolique, fixer des distances de sécurité », énumère Sébastien Delot, le directeur du LaM à Villeneuve d’Ascq.

Deux écoles émergent s’agissant de la date de réouverture au public. Certains voudraient une date unique afin de faciliter la communication externe et créer « un effet de souffle », tandis que d’autres plaident pour une ouverture en fonction des conditions sanitaires régionales faisant remarquer qu’il est plus facile d’ouvrir dans les Landes où il y a très peu de malades que dans l’Est ou en Île-de-France. Un signe qui plaide pour la seconde hypothèse : Édouard Philippe a souligné dans sa conférence de presse du 19 avril, le rôle décisif en la matière des préfets et collectivités territoriales. 

Un paramètre important sera le nombre maximum de visiteurs pouvant entrer au même moment dans les lieux. Si dans leur très grande majorité les musées ont une jauge compatible avec ce qui s’observe dans les hypermarchés, ce n’est pas le cas des grands musées parisiens comme le Louvre ou le Musée d’Orsay. Sans attendre, deux « futurs grands musées » ont reporté leur ouverture à 2021 ; François Pinault préfère inaugurer la Bourse de Commerce au printemps 2021 après avoir reporté l’ouverture une première fois à cet automne, et l’Hôtel de la Marine n’ouvrira pas comme prévu en juillet 2020. Philippe Bélaval met en avant « le peu d’enthousiasme des entreprises de BTP » pour reporter sine die la date d’ouverture.

Une programmation impossible à mettre en place

Ouvrir, mais pour montrer quoi ? Le calendrier des expositions change tous les jours en fonction de multiples contraintes et chaque cas est particulier. Le LaM est allé au plus simple et au plus efficace, l’exposition de printemps consacrée à William Kentridge, et qui rencontre un grand succès, a été reportée jusqu’à mi-décembre. C’est un peu moins aisé pour Bruno Gaudichon, le directeur de La Piscine à Roubaix qui, d’un côté, va pouvoir prolonger son exposition sur Marcel Gromaire tout l’été, mais, de l’autre, doit reporter en 2021 la monographie consacrée à Alexej von Jawlensky. « C’est une exposition itinérante ; on devait la montrer en premier, on passe finalement en troisième position », explique-t-il. Au Petit Palais, son directeur Christophe Leribault prolonge l’exposition de la collection Prat, mais désespère de monter l’exposition sur la peinture danoise qui devait ouvrir en avril – « les œuvres sont dans les caisses », dit-il –, et a de fortes inquiétudes pour l’exposition Ilia Rapine prévue à l’automne, dont une grande partie des prêts viennent de Russie. Prudent, le Musée Paul-Valéry de Sète a décalé la grande exposition de son cinquantenaire de l’été à l’automne. Le CMN reporte « au second semestre 2020 » toutes les expositions quasiment prêtes au moment du confinement et en 2021 celles qui n’étaient pas montées.

L’attitude des prêteurs est le paramètre principal de la gestion du calendrier. Dans l’ensemble, « il y a une vraie solidarité entre collègues », souligne Guy Tosatto ; « nous avons bien entendu prolongé les prêts de nos œuvres », indique Christophe Leribault. Mais cette entraide inhabituelle dans un milieu où la concurrence a tendu les rapports ne résiste pas aux moyens de transport à l’arrêt et aux frontières fermées.

Restent enfin deux derniers paramètres qui vont jouer sur l’affluence. Chacun veut se convaincre que les Français prendront leurs vacances en France et, qu’avec l’annulation des festivals, ils se reporteront vers les musées et lieux patrimoniaux. Mais les bars et restaurants seront-ils autorisés à rouvrir ? Si les hôtels, assimilés à des domiciles privés, n’ont pas fermé, « les touristes ont besoin de se restaurer », remarque Philippe Bélaval. Et puis surtout la confiance va-t-elle revenir ? les touristes auront-ils envie de s’enfermer dans des lieux où ils risquent d’être contaminés ?

Une partie des réponses aux questions que tous se posent devrait être apportée par le premier ministre d’ici le 1er mai. Mais si certaines inconnues d’une équation qui en comporte plusieurs seront levées, le casse-tête n’est pas résolu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°544 du 24 avril 2020, avec le titre suivant : Les musées dans l’attente du déconfinement

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