Les chercheuses mandatées par l’État dressent un bilan mitigé de leur mission dans cinq musées d’Auvergne-Rhône-Alpes.
Auvergne-Rhône-Alpes. Cinq musées, trois chercheuses de provenance, et six mois : une première mission d’ampleur sur la recherche de provenance des œuvres d’art, commandée par l’État, s’est achevée en octobre dernier dans la Région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA). Si des collectivités locales ont déjà pris le sujet à bras-le-corps (comme Rouen, dont les collections du Musée des beaux-arts ont été auditées par la chercheuse Marie Duflot[*]), la mission rhône-alpine à l’initiative de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) devait identifier les acquisitions problématiques dans cinq institutions différentes.
Pour les trois chercheuses lauréates de l’appel d’offres (Caroline Bakra, Deborah Fest Kindler et Nathalie Neumann), la mission devait au départ analyser de manière large les besoins des cinq musées en termes de recherche de provenance pour les œuvres entrées dans les collections entre 1933 et 1945, afin d’identifier des ensembles à risques. Mais parmi les équipes du Musée des tissus de Lyon, du Musée des beaux-arts de Lyon, du monastère royal de Brou, du Musée de Grenoble et du Musée d’art et d’archéologie de Valence, les attentes sont fortes.
« L’idée était de faire un premier défrichage, puis que le musée s’empare des problématiques, explique Deborah Fest Kindler, mais ça n’est pas si facile parce que les équipes ne sont pas outillées pour aller plus loin. Nous avons constaté la frustration des équipes, leur attente de réponses précises qu’il était impossible de mener en l’état. Pour pallier cette frustration, nous avons défini des corpus avec des analyses approfondies, sans compter nos heures de travail. » La mission s’est ainsi étendue aux acquisitions réalisées jusqu’en 2007 pour certains musées.
Le simple « défrichage » de départ a ainsi abouti sur des analyses complètes pour certains dossiers brûlants, qui sont aujourd’hui sur le bureau de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels (M2RS) au ministère de la Culture. Collectes de données, examen critique des sources dans les archives des musées, analyse des inventaires pour distinguer les dossiers sans problèmes des œuvres suspectes, et examen physique des œuvres ont permis aux chercheuses d’établir un certain nombre de rapports précis.
« Certains musées avaient des dossiers chauds sous le coude, de longue date, sur lesquels on a essayé de répondre », retrace Nathalie Neumann, qui évoque un « beau travail, un peu idéaliste ». Pour cette chercheuse de provenance cumulant vingt ans d’expérience en Allemagne, l’enjeu de cette initiative pilote dépassait les missions détaillées dans l’appel d’offres : « Il y a un seuil de peur dans les musées qu’il faut faire baisser, on craint la mauvaise presse, les effets sur la réputation d’une recherche de provenance dans les collections. Notre but c’était aussi de transformer cette mauvaise image en montrant que la recherche de provenance est un vrai défi scientifique. »
L’approche transversale de la mission, portant sur cinq musées différents d’une même région, a essaimé cette culture de la recherche de provenance sur le territoire, tout en permettant aux chercheuses de mettre à jour des logiques locales dans les acquisitions et le marché de l’art rhône-alpin durant la guerre. Les trois professionnelles notent également le bénéfice du travail collectif, associant des chercheuses de provenance aux compétences diverses (expertises sur les sources, sur le marché de l’art, sur le fonctionnement des institutions).
Travail collectif, approche transversale d’un territoire : ces deux points ne se retrouvent pas dans les appels d’offres diffusés depuis la fin de leur mission pour d’autres musées. « On voit aujourd’hui que notre cahier des charges est dupliqué pour des musées individuels, ce qui empêche cette dynamique régionale, et pour un chercheur unique, sans ce principe de groupement qui permet de croiser les compétences, regrette Caroline Barka. On perdra forcément en richesse du rendu, tout en précarisant le modèle économique des chercheurs qui sont mis en concurrence. »
Ce principe de recherche sur appel d’offres ne permet pas une rémunération à la hauteur de l’expertise et du travail engagé, selon les chercheuses qui expliquent ne pas avoir dégagé un SMIC mensuel en revenus sur les six mois de recherches, et souffrent de la comparaison avec d’autres pays : En Allemagne, 90 % des missions de recherche sont financées par une fondation dotée de 6 millions d’euros, et qui sert à créer des postes. En amont, il y a des missions territoriales qui permettent d’analyser les besoins sur chaque région », explique Nathalie Neumann.
Actuellement en CDD au sein du Musée de Fulda pour une mission de recherche, la chercheuse franco-allemande constate également que le poids institutionnel en France ne facilite pas ce travail : « Lorsque je fais une recherche en Allemagne, je prépare le dossier de A à Z, je dialogue avec l’avocat des ayants droit, nous cherchons une solution ensemble, puis on publie, on informe la presse, le public. La présentation du résultat fait partie du processus, et permet de se mettre en contact avec des musées qui peuvent être concernés par les mêmes problématiques, de partager les expériences entre chercheurs. En France, il y a un monopole du ministère de la Culture, qui revérifie nos dossiers et contrôle la communication », déplore-t-elle. Les résultats de cette mission achevée depuis sept mois ne sont toujours pas communiqués par le ministère, à la grande frustration des chercheuses. « Et plus on attend, plus ça devient problématique », souligne Déborah Fest Kindler.
[*] Les collections du musée des Beaux-Arts de Rouen ont été auditées par un collectif de trois chercheuses : Marie Duflot, Hélène Ivanoff et Denise Vernerey. Contrairement à ce que nous avions indiqué dans l'article, Marie Duflot n'est pas avocate mais juriste de formation, doctorante et chercheuse de provenance. Le résultat de leur recherche peut-être consulté librement sur le site mbarouen.fr.
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Les leçons d’une recherche de provenance pilote
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Les leçons d’une recherche de provenance pilote









