Collection - Musée - Restitutions

Les bronzes bon marché du British Museum

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 5 avril 2002 - 896 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le British Museum a vendu plus de trente bronzes du Bénin entrés en sa possession à la fin du XIXe siècle. La plupart de ces pièces ont rejoint le Nigeria où ils sont désormais introuvables.

LONDRES (de notre correspondant) - Depuis l’indépendance du Nigeria en 1960, de nombreuses demandes de restitution ont été adressées aux autorités anglaises. En janvier dernier, la Chambre basse du Parlement du Nigeria a demandé à l’unanimité au gouvernement fédéral de produire une requête officielle visant à la restitution des bronzes du Bénin (le royaume du Bénin se trouvait en grande partie sur le territoire actuel du Nigeria). Aujourd’hui, la déclassification d’un rapport britannique visant ces pièces amènent quelques éclaircissements. Daté de 1972, le texte, adressé aux administrateurs du British Museum (BM), indique clairement que les bronzes du Bénin constituaient effectivement un “butin”, ramené lors d’une expédition punitive de 1897. Ils avaient toutefois été acquis en toute légalité par le musée.

Plusieurs de ces bronzes ont été dispersés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La chose n’a jamais été tenue secrète, mais le musée, comme les autorités nigérianes, n’ont pas souhaité attirer l’attention sur ces ventes, d’autant que deux de ces œuvres ont été cédées en 1972. Le début des ventes remonte à 1950, lorsque Hermann Braunholtz, conservateur du département ethnographique, informe les administrateurs du BM que parmi les 203 plaques acquises auprès du ministère des Affaires étrangères en 1898, “trente environ sont des doublons et constituent de ce fait un surplus pour le musée”. Il propose d’en vendre une dizaine pour une somme totale de 1 500 livres sterling, “puisqu’il n’en existe pratiquement pas dans le pays”. Si la somme a servi à l’acquisition de la grande collection Oldman d’ethnographie africaine et américaine, les ventes étaient motivées par une autre raison, le projet de construction d’un musée national à Lagos, dans un pays qui était toujours une colonie britannique. Altruistes, les conservateurs londoniens souhaitaient que de beaux exemples de la culture du Bénin soient exposés dans la capitale nigériane.

Après la première vente, les Nigérians ont souhaité acheter d’autres plaques, mais le BM craignait alors de ne pas pouvoir estimer à leur juste valeur des œuvres qui ont rarement circulé sur le marché. Aujourd’hui, la solution choisie peut paraître bien étrange : le musée a décidé de vendre quatre bronzes à un marchand de Londres en guise de “test” ! La décision qui devait isoler quelque trente-cinq bronzes du Bénin, considérés comme des doublons, est elle aussi surprenante.

Au retour de l’expédition de 1897, 304 plaques ont fait l’objet d’un prêt temporaire au musée par le ministère des Affaires étrangères, qui a ensuite accepté de faire don d’un tiers des pièces au BM. Des documents révèlent que le musée souhaitait davantage de pièces. Charles Read, spécialiste du Bénin au BM, écrivait le 29 juillet 1897 : “il n’y a aucun véritable doublon parmi ces pièces”. L’année suivante, le ministère des Affaires étrangères acceptait de faire don de toute la collection. Les cessions de 1972 apparaissent donc comme particulièrement troubles, puisque que, conformément au British Museum Act de 1963, les contraintes légales relatives au déclassement d’œuvres avaient été renforcées et il n’était autorisé que dans de rares cas, notamment si “l’objet est le doublon d’un autre objet”. Personne ne s’est alors demandé si les plaques représentant un poisson et un crocodile pouvaient être considérées comme des doublons.

Trente ans après, le musée déplore ces ventes. “D’un point de vue muséologique, c’est une calamité. Les bronzes étaient moulés par paires, et il est donc difficile de les exposer convenablement”, explique Nigel Barley, spécialiste de l’art africain au musée. En effet, les plaques avaient servi à décorer des colonnes de bois qui supportaient le toit du palais de l’Oba, et des motifs assortis avaient été disposés de chaque côté de l’entrée. Dans les nouvelles Sainsbury African Galleries du BM, inaugurées l’année dernière (lire le JdA n° 116, 1er décembre 2000), les 48 plus beaux bronzes du Bénin sont exposés sur une grande structure métallique formant un quadrilatère.

Quant aux pièces parties pour Lagos, l’on craint que certaines aient été détournées. Selon Frank Willett, qui fut conservateur au Nigeria puis directeur du Hunterian Museum de Glasgow, “la quasi-totalité de la collection des réserves des antiquités du Bénin” était portée manquante à Lagos à la fin des années 1980. À cette époque, cinq plaques seulement étaient présentées dans l’exposition itinérante des “Trésors de l’ancien Nigeria”. Trois avaient appartenu au British Museum, et on est en droit de s’interroger sur la localisation de quelque vingt pièces, ainsi que sur les dizaines d’autres achetées auprès d’autres réseaux. En dépit des rumeurs concernant la collection conservée dans les réserves du National Museum, aucun organisme indépendant n’a  pu enquêter sur le sort des bronzes. Toutefois, si le musée de Lagos n’a présenté que peu de plaques au cours des dernières années, il n’existe aucune preuve tangible que les “doublons” soient sur le marché. Reste à espérer qu’ils soient enfouis dans les réserves. Dans cette situation, il est fort peu probable que le BM subisse des pressions pour la restitution d’autres bronzes du Bénin. Pourtant, le fait que le BM ait pu se montrer prêt à aliéner certaines de ses œuvres, et ce jusqu’en 1972, constitue un précédent que ne manqueront pas de faire valoir tous les partisans du retour des bronzes au Nigeria.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : Les bronzes bon marché du BM

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