Maroc - Musée

Les arabesques du Musée Mohammed VI

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2016 - 949 mots

RABAT / MAROC

Dix-huit mois après son inauguration, le premier musée d’art moderne et contemporain construit au Maroc tente, non sans difficultés, de bâtir un projet en phase avec la muséologie moderne.

Le Musée Mohammed VI, à Rabat au Maroc
Le Musée Mohammed VI, à Rabat au Maroc
Photo Muhcine Ennou

RABAT - De l’extérieur, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain arbore une architecture andalouse classique, mais à l’intérieur c’est un croisement de palace moderne et de musée « white cube » impersonnel. Dix-huit mois après son inauguration, le MMVI peine tout autant à afficher un projet culturel et scientifique lisible.

En témoigne la nouvelle exposition temporaire sur Giacometti, alors qu’on s’attendrait à davantage de volontarisme maghrébin ou africain, celle-ci prenant la suite d’une exposition sur César ! D’une ampleur respectable (800 m²), mais loin des 2 000 m² de l’exposition du Centre Pompidou ou de celle actuellement à Shanghaï (3 000 m²), elle est organisée par la Fondation Giacometti et sa directrice Catherine Grenier, qui n’a pas lésiné sur les prêts, dont une édition d’un Homme qui marche II, qui conclut magistralement un parcours à la scénographie soignée. Une courte section tente d’établir une passerelle entre le sculpteur et l’Afrique, mais c’est pour la forme pourrait-on dire. Cette indétermination du musée trouve en partie son origine dans son histoire. Voulu par le roi (dont on dit qu’il est grand amateur d’art et collectionneur), le premier musée construit depuis l’indépendance, qui plus est d’art moderne et contemporain, a longtemps (dix ans) été enlisé dans un mélange d’inertie bureaucratique et de problèmes de financement avant que le Palais ne demande à Mehdi Qotbi d’achever enfin le projet.

Mehdi Qotbi est un personnage étonnant. Artiste lui-même, formé à l’École des beaux-arts de Rabat, puis celle de Toulouse, il a vécu en France pendant près de quarante ans, enseignant les arts plastiques dans des lycées. Son ascension est exemplaire, on le dit très protégé par le Palais et il est tout autant courtisé par la France, qui lui a fait grimper les échelons de l’ordre de la Légion d’honneur à vitesse accélérée (chevalier en 2000, officier en 2008, puis commandeur en 2015). Ses œuvres (de belle facture) trônent dans la résidence privée de l’ambassadeur de France. L’Institut français au Maroc a même apporté 100 000 euros pour financer l’exposition Giacometti, « des fonds qui viennent essentiellement des recettes des Alliances françaises » s’empresse de préciser Jean-Marc Berthon l’attaché culturel de l’ambassade.

La Fondation nationale des musées
Le roi lui a également confié la direction de la nouvelle Fondation nationale des musées (FNM), l’équivalent de notre RMN, avec quatorze musées nationaux qui sont essentiellement des lieux patrimoniaux avec des collections d’art décoratifs. Symptôme d’un équilibre complexe entre le roi et le gouvernement, reflet d’un parlement à majorité islamiste modéré, la FNM ne dépend pas du ministère de la Culture, mais directement du Premier ministre. Dotée d’un budget d’environ 5 millions d’euros, cette fondation publique a pour priorité de rénover ces lieux, afin d’en faire une vitrine pour le tourisme culturel, mais le chemin est encore long. Le Musée des Oudayas à Rabat est fermé depuis six mois pour des travaux de restructuration, afin de le transformer en Musée du caftan et de la parure ; mais selon des locaux interrogés à proximité des lieux « rien n’a bougé depuis la fermeture ». Le Musée Mohammed VI est en réalité l’équipement phare de la FNM, un équipement « où tout est à faire » argumente Mehdi Qotbi. Sans collection, le musée compte sur des acquisitions, des prêts et des donations pour bâtir un ensemble représentatif de l’art moderne et contemporain, surtout marocain. Pour l’heure, les expositions temporaires occupent la majorité des espaces. Pour cela, Mehdi Qotbi noue des partenariats avec de nombreux musées français. Il a coproduit l’exposition du Louvre sur le Maroc médiéval, qui est venue bizarrement par la suite au MMVI, et le président du Centre Pompidou est venu lui-même signer une convention de formation lors de l’inauguration de l’exposition.

Mais alors que le MMVI peine à construire un projet cohérent selon les normes internationales (pour être juste, à l’aune locale c’est un équipement remarquable compte tenu des tensions économiques et sociales de la société marocaine), son futur pourrait être handicapé par sa localisation. Installé en plein centre-ville, le MMVI risque d’être rejeté en périphérie de la « Vallée de la culture » en cours de construction à quelques kilomètres de la  ville (lire ci-dessous).

Rabat veut devenir une capitale culturelle

La capitale politique du Maroc veut sortir de son image de sous-préfecture et s’est lancée depuis 2011 dans un gigantesque projet urbanistique dans la vallée du fleuve Bouregreg qui sépare Rabat de Salé. Financée par quatre fonds des pétromonarchies du Golfe (Abou Dhabi, Qatar, Koweit et Arabie Saoudite) pour un total de 780 millions d’euros, la « Vallée culturelle de Rabat » est un complexe associant une marina, des logements, des hôtels, des centres commerciaux et des équipements culturels. Le périmètre de ces derniers ne cesse d’évoluer. À ce jour, sont prévus un grand théâtre dessiné par Zaha Hadid (récemment décédée), la bibliothèque des archives nationales (23 M €) et une grande Maison des arts et de la culture (18 M €), qui devrait associer des lieux d’exposition et des structures de formation. L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et son directeur Jean-Marc Bustamante travaillent actuellement avec les autorités marocaines pour y installer une école d’art dont le positionnement n’est pas encore arrêté. Malgré les apparences, ce programme n’a pas grand-chose à voir avec l’île de Saadiyat à Abou Dhabi, d’une ampleur supérieure et qui vise surtout le tourisme international. Adossé à une métropole de 3 millions d’habitants, ce nouveau quartier cible prioritairement les habitants, locaux ou expatriés.

J.-C.C.

 

Giacometti

Commissaire d’exposition : Catherine Grenier Nombre d’œuvres : 95

Giacometti

Giacometti, jusqu’au 4 septembre, Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, angle avenue Moulay El Hassan et avenue Allal Ben Abdellah, Rabat (Maroc), tlj sauf mardi, 10h-18h, prix 40 DHS (3,50 €).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Les arabesques du Musée Mohammed VI

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