Musée

Les ambitions planétaires du Centre Pompidou

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 17 décembre 2019 - 1541 mots

Une annexe à Metz qui fête ses dix ans, un futur pôle de conservation et de création annoncé à Massy, mais aussi des antennes à Málaga, Shanghai, Bruxelles… Le Centre Pompidou n’a de cesse de vouloir se développer en dehors de ses murs et de ses frontières.

« Il y a quelque chose d’extrêmement émouvant à inaugurer un tel lieu pour un président de la République. […] C’est la première fois qu’un grand musée international ouvre ses portes ici en Chine et donne à voir parmi les plus belles œuvres du XXe siècle. » Présent à Shanghai dans le cadre d’un voyage officiel, Emmanuel Macron a salué l’ouverture du Centre Pompidou x West Bund Museum Project après avoir fait un tour dans ses salles d’exposition. S’il est un peu tôt pour parler d’un « grand musée international », la signature d’un partenariat de cinq ans avec la société parapublique West Bund Development Group constitue, c’est sûr, un aboutissement qui ne doit rien au hasard, comme le souligne Bernard Blistène. Le directeur du Musée d’art moderne fait allusion aux relations nouées de longue date entre la France et la Chine. « Il y a bien sûr des échanges culturels très anciens entre les deux pays », rappelle également Marcella Lista, conservatrice au Centre Pompidou, qui s’est penchée sur le sujet. Ce dialogue s’est, explique-t-elle, intensifié au XXe siècle, depuis le programme de coopération lancé entre les deux gouvernements dans les années 1920, grâce auquel nombre d’artistes chinois se sont formés dans les écoles d’art françaises, jusqu’à la décennie des années 1980, qui vit émerger une avant-garde dont certains représentants s’installèrent dans l’Hexagone. Voilà pour l’arrière-plan historique.

Mais cette ouverture en Chine s’inscrit plus largement dans une stratégie de développement incessante menée par l’établissement public depuis une dizaine d’années. En 2020, le Centre Pompidou Metz fêtera ses dix ans et un bilan qui en fait le centre d’art dédié à l’art moderne et contemporain le plus fréquenté en dehors de Paris. Le contrat du Centre Pompidou Málaga, inauguré comme un test en 2015, vient d’être reconduit pour dix ans. Le projet de Shanghai a donc ouvert ses portes au public le 8 novembre dernier. Quant à l’immense bâtiment de Kanal Pompidou à Bruxelles, en pleins travaux, il devrait être livré en 2023, tandis qu’un pôle francilien de conservation et de création est annoncé à Massy, dans l’Essonne, à l’horizon 2025. Et l’on parle d’un possible nouveau projet à Séoul…

Un appoint budgétaire

Le Centre Pompidou se prendrait-il pour une marque qui multiplie les franchises aux quatre coins du monde ? « Je suis pragmatique, admet son président Serge Lasvignes. Mais j’ai quand même posé un principe en arrivant, c’est qu’on ne serait pas Starbucks. » Implicitement, c’est à l’exemple du Guggenheim qu’il est fait référence. À la suite de son installation réussie à Bilbao dès 1997, l’institution américaine a en effet tenté d’ouvrir plusieurs filiales à l’étranger, sans grand succès. Le musée français ne fera pas les mêmes erreurs. Selon son président, « il ne s’agit pas de définir une sorte de modèle d’annexe que l’on implanterait un peu partout. Chaque projet hors les murs a sa logique propre et son économie de partenariat. » À Shanghai, le contrat d’application comprend les prêts d’œuvres, la conception d’expositions, la programmation, la formation de professionnels et, enfin, la présentation à Paris de projets et d’expositions d’artistes chinois. Le partenaire, qui exploite le site, paye les frais de transport d’œuvres, l’ingénierie et le conseil. Il verse également une commission de 4,5 millions d’euros par an pour l’usage du nom. D’échelle plus réduite, le Centre Pompidou de Málaga rapporte pour sa part 1 million d’euros par an.

Si la dimension pécuniaire est importante, elle reste cependant assez marginale rapportée au budget de l’établissement. En 2018, il s’est établi à 151,1 millions d’euros de recettes, dont 90,9 millions d’euros de subventions de l’État, 36,9 millions d’euros de ressources propres et 1,2 million d’euros de mécénat d’acquisition. Si l’on ne peut pas nier que les revenus de ses antennes constituent donc « un appoint nécessaire dans un budget contraint », selon la formule de Bernard Blistène, l’ambition du Centre Pompidou va bien au-delà d’une simple question de gain.

La collection du MNAM « un outil extraordinaire »

Une des motivations de sa politique d’expansion est ainsi directement liée à la prise de conscience de l’ampleur de sa collection. De quelque 30 000 numéros en 1977, celle-ci est en effet passée à près de 120 000 œuvres. Une augmentation exponentielle qui a eu lieu dans les années 1980, lorsque Dominique Bozo, alors président du Centre, décida de créer des départements entiers, sur un schéma proche de celui du MoMA de New York, en ouvrant le musée à l’architecture, au design, à la photographie, aux nouveaux médias… Cela, à une époque où le marché de la plupart de ces disciplines n’existait pas encore.

L’ensemble de ces départements constitue un titre de fierté et une formidable richesse. Les collections publiques étant inaliénables, il n’est cependant pas question de les monétiser en revendant des œuvres. Et alors même que l’immense majorité d’entre elles demeurent dans les réserves – 1 914 pièces seulement sont en présentation permanente au cours de l’année. Le musée, bien sûr, prête énormément : près de 2 000 œuvres en France et 2 556 à l’étranger en 2018. À travers une politique systématique de dépôts dans des établissements muséaux (plus de 5 000 l’an dernier), il s’efforce aussi de déployer ses collections à l’échelle régionale – c’est d’ailleurs sur cette obligation de décentralisation que s’est inventé le Centre Pompidou Metz. Cependant, « on ne peut pas se contenter de prêter », estime Bernard Blistène, qui voit plutôt la collection comme « un outil extraordinaire » pour exister ailleurs, et autrement.

D’autant qu’à l’ère de la mondialisation, il faut penser aussi la diversité géographique de ce fonds en achetant des œuvres d’artistes étrangers. Impossible toutefois de prétendre à l’universalité – la notion n’a pas survécu au post-colonialisme, sans parler des moyens que cela supposerait. L’idée a donc consisté à renforcer « des scènes dont l’histoire croisait la nôtre », explique le directeur du MNAM. D’où le regain d’intérêt pour la Chine, où Bernard Blistène comme Serge Lasvignes, aussitôt en poste, ont consacré chacun leur premier voyage officiel. En 2016, le musée, avec le soutien du mécène Adrian Cheng – de la K11 Art Foundation – a également recruté comme conservateur le Chinois Yung Ma. On lui doit, entre autres, l’exposition consacrée l’été dernier à l’artiste pékinoise Cao Fei.

Un pied en Chine… l’autre ailleurs

Le succès du centre Pompidou Málaga, conçu lui aussi à l’origine comme un laboratoire éphémère, est encourageant. Pour preuve, alors que le partenariat prenait fin en mars 2020, la municipalité espagnole a souhaité le renouveler avant son terme pour une durée non pas de cinq, mais de dix ans supplémentaires. L’attractivité d’« El Cubo » rejaillit en effet jusque sur le visitorat du Museo Picasso local, multiplié par deux depuis l’ouverture du centre d’art. Pourquoi ne pas imaginer, à l’image de ce pop-up devenu presque pérenne, de transformer l’essai à Shanghai ? Seul bémol, le gouvernement de Pékin est peu enclin à laisser les mains libres aux entreprises étrangères qui prospectent sur son territoire. Reste que le partenariat avec le West Bund Group, aussi provisoire soit-il, permet d’avoir sur place un poste d’observation de la scène locale, ce qui devrait faciliter le repérage et l’acquisition d’œuvres d’artistes encore abordables. Tout en assurant la promotion de l’image du Centre Pompidou auprès de potentiels futurs touristes. Car, pour l’heure, les Chinois représentent 1 % seulement des visiteurs du Centre à Paris.

Il est tout aussi essentiel de nouer de bonnes relations avec les collectionneurs au-delà des frontières. C’est d’ailleurs une des vertus de la convention de partenariat d’une durée de dix ans signée avec la région de Bruxelles-Capitale et la Fondation Kanal. Certes, l’ouverture de ce futur pôle culturel pluridisciplinaire entre en résonance avec « l’ADN du Centre Pompidou », mais en s’installant à une heure de Paris, « au cœur de l’Europe », celui-ci espère aussi se rapprocher des grandes collections privées qu’abrite la Belgique.

À chaque projet, donc, ses enjeux, son modèle économique et sa logique d’alliances. Le financement à hauteur de 20 millions d’euros consenti par la région Île-de-France en faveur du futur « pôle de conservation et de création » de Massy a rendu possible un chantier crucial pour le Centre Pompidou, depuis longtemps à la recherche d’une solution de stockage plus rationnelle et plus performante. En imaginant « un équipement culturel innovant » ouvert au public, donc un potentiel totem régional, le Centre a emporté l’adhésion des élus. « L’Essonne avait besoin d’une grande infrastructure culturelle », s’est félicitée, lors de la signature en octobre dernier, la présidente de région, Valérie Pécresse.

La suite de l’histoire prendra-t-elle place à Séoul, où les échanges avec, cette fois-ci, « un opérateur privé », sont selon Serge Lasvignes bien avancés ? « Rien n’est encore fait », tempère Bernard Blistène, qui rêve pour sa part de développer « un centre de recherches » adossé à la bibliothèque Kandinsky, avec pour mission de mener « une veille sur la création, de nouer des relations avec d’autres universités », et surtout de faire en sorte que « les questions de société puissent être abordées à l’intérieur du musée ». Ce refus d’être un lieu « qui s’en sort par l’esthétique » se conjugue avec l’intention de rayonner, plus que jamais, dans le monde entier.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Les ambitions planétaires du Centre Pompidou

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