Archéologie

Le roman de la momie Tamout

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 29 octobre 2019 - 1857 mots

Bienvenue à Nestaoudjat, Tamout, Irthorrou et à leurs amis ! Le Musée des beaux-arts de Montréal reçoit jusqu’en février 2020 six momies du British Museum qui, grâce à la technologie médicale, livrent les secrets de leur vie, leurs croyances, leurs douleurs… Rencontre avec l’une d’elles : Tamout.

À leur mort, leurs corps ont été momifiés afin que l’âme, représentée par l’oiseau Bâ à tête humaine, puisse les reconnaître et assurer leur survie dans l’au-delà. Et de fait, Nestaoudjat, Tamout et Irthorrou d’Hawara, ainsi que leurs compagnes et leurs compagnons de Thèbes, semblent aujourd’hui presque vivants. Quelques millénaires après leur mort, ils ont fait le voyage de Londres à 
Montréal pour raconter leur histoire – leurs croyances, leurs métiers, leurs souffrances, et aussi ce qui advint de leur corps au terme de leur vie. « Il est très rare d’accueillir des hôtes immémoriaux, qui partagent avec nous leur existence ! », commente Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) qui accueille cette exposition en partenariat avec le British Museum.

La tomodensitométrie
Si ces six momies… Pardon, si ces six personnes partagent aujourd’hui avec nous leur vie, c’est grâce aux investigations menées par deux conservateurs du British Museum, le bioarchéologue Daniel Antoine et l’égyptologue Marie Vandenbeusch, commissaires, avec Laura Vigo, conservatrice de l’archéologie et de l’art asiatique du MBAM, pour la présentation montréalaise, de l’exposition « Momies égyptiennes : passé retrouvé, mystères dévoilés ». Leur secret ? Une technologie médicale de pointe non invasive, la tomodensitométrie, qui leur a permis d’observer en trois dimensions l’intérieur des momies. Ces recherches s’inscrivent dans un vaste programme mené par le musée britannique qui fut le premier, dès 1808, à présenter au public des antiquités égyp­tiennes. 

À cette époque, un peu partout, on n’hésitait pas à débandeletter les momies pour découvrir ce qu’elles dissimulaient sous leurs tissus. Mais l’institution londonienne s’est toujours refusée à le faire. Elle tient aujourd’hui sa revanche. Au XXe siècle, déjà, l’avènement des rayons X avait permis de révéler quelques images de l’intérieur des momies sans les détruire, mais elles étaient bien peu précises. À partir de 2012, les progrès de la technologie ont permis aux chercheurs de visualiser jusqu’aux couches les plus molles de ces corps et les plus infimes détails – comme des incisions sur des plaques de métal. Pour l’instant, les recherches ont été menées sur 20 des 80 momies égyptiennes de la collection du musée. 

Les secrets de Tamout
Parmi elles, Tayesmutengebtiu, « celle dont la mère est de Coptos », Tamout pour les intimes – c’est ainsi qu’elle était appelée par sa famille et ses proches. Son cartonnage (structure en papier mâché, textile et plâtre qui abrite la momie déposée dans le sarcophage qui, dans le cas de Tamout, a disparu), nous donne à voir un visage d’or, paisible et souriant, encadré par une chevelure brune. Orné d’inscriptions et de scènes religieuses où la défunte apparaît en jeune femme gracile, ce cartonnage, dont le style indique qu’il remonte à environ 900 av. J.-C., nous apprend que Tamout, fille de Khonsumose, prêtre d’Amon, était « chanteuse » d’Amon, sans doute dans le temple de Karnak, voué au culte du dieu Amon-Rê. Là, cette femme mariée, dont on ignore si elle a eu des enfants, participait aux rituels religieux, parmi les prêtres et prêtresses qui jouaient de la musique et chantaient. 

On ignore comment sa momie, découverte au XIXe siècle alors que les méthodes scientifiques de l’archéologie étaient encore balbutiantes, retrouva la lumière. On retrouve sa trace dans la collection d’un Français, Raymond Sabatier, qui fut consul en Égypte en 1852. La découvrit-il lui-même ? Peut-être, puisqu’il possédait un permis de fouille. L’acheta-t-il plutôt, comme d’autres objets de sa collection, à l’archéologue Auguste Mariette, qui menait des fouilles à Thèbes à cette époque ? C’est possible. Toujours est-il qu’il céda Tamout au British Museum. Elle y fut tantôt exposée dans les vitrines, tantôt conservée dans les réserves. 

10 000 heures d’analyses
Et voilà qu’en 2013, la belle Tamout éveille un intérêt nouveau : celui des deux conservateurs Daniel Antoine et Marie Vandenbeusch. « Sur le plan visuel, son cartonnage est absolument magnifique, et témoigne de la délicatesse et la richesse de l’art de cette époque, la troisième période intermédiaire », explique Marie Vandenbeusch. « À cette époque aussi, le traitement du corps évolue, avec un nombre élevé d’amulettes, en pierre, faïence et cire, qui nous donnent une meilleure compréhension des croyances liées à la vie dans l’au-delà », souligne Daniel Antoine. C’est ainsi que le bioarchéologue – l’un des seuls au monde à travailler au sein d’un musée – et l’égyptologue décident de faire examiner Tamout dans un hôpital de Chelsea spécialisé dans le cœur, qui possède un scanner très pointu, avec deux niveaux d’énergie. Un rayonnement faible permet d’observer les textiles et les tissus mous. Une énergie forte rend possible l’examen du squelette et des amulettes, avec une précision telle que même les incisions dans les objets se révèlent. Ce faisceau de rayons X est déplacé autour de la momie de manière à produire des milliers d’images transversales. Les données obtenues sont compilées par des logiciels de pointe qui reconstituent des images détaillées en 3D. La durée de cet examen au scanner ? Environ une minute… à laquelle succèdent près de 10 000 heures d’analyses, menées manuellement grâce à un logiciel par un spécialiste de l’imagerie, guidé par les conservateurs. Au sein de chacune des 8 500 coupes transversales du corps de Tamout, chaque couche – textile, amulettes, peau, muscles, organes, squelette… – doit être identifiée avant d’être colorée, afin que l’on puisse retirer virtuellement, dans une représentation en trois dimensions, le cartonnage, les bandelettes, puis la peau afin de renseigner les chercheurs sur la biologie, le régime alimentaire, les maladies, les rites funéraires et les techniques d’embaumement.

Une prêtresse souffrant de cholestérol 
Dès 2014, pour présenter le résultat de ces recherches, le British Museum consacre une exposition à Tamout et sept de ses compagnons et compagnes d’Égypte. C’est le début d’une tournée internationale : en 2019, la chanteuse d’Amon a été soigneusement empaquetée, calée dans une caisse sur des coussins d’air pour limiter les vibrations, pour être chargée dans un camion avant d’embarquer dans un avion pour traverser l’Atlantique et devenir l’une des six vedettes du Musée des beaux-arts de Montréal, le temps d’une nouvelle exposition, première étape d’une tournée nord-américaine.

Là, elle se raconte à nouveau, entourée des répliques de ses amulettes déposées sur sa peau avant le bandelettage, qui ont pu être imprimées en 3D. Sur un écran, les images de son corps et de ses amulettes. D’un coup, nous voici transportés près de 3 000 ans en arrière, et par-delà les apparences. Le cartonnage représente la prêtresse coiffée d’une perruque traditionnelle ? Le corps de Tamout, en vérité, arbore des cheveux courts – comme il était d’usage pour les prêtresses. Elle apparaît en jeune fille élancée, vêtue d’une robe transparente, s’avançant vers un groupe de divinités, guidée par Horus ? Le scanner révèle non seulement qu’elle était en réalité une femme d’âge mûr, mais aussi qu’elle avait du cholestérol et souffrait d’athérosclérose comme en témoigne un dépôt important sur sa jambe. On sait aujourd’hui que le cholestérol n’est pas toujours lié à l’alimentation : il peut être génétique. « Mais en tant que prêtresse d’Amon, Tamout avait accès aux viandes des offrandes… », commente Marie Vandenbeusch. De sa peau, qui apparaît un peu lâche, laisse penser que la prêtresse était sans doute un peu enrobée… Mourut-elle d’une maladie cardio-vasculaire pour avoir trop fait bombance ? Ou de cet abcès dentaire qui apparaît sur les images ? Impossible de le savoir. 

Toujours est-il que la mort, d’après l’analyse des images du squelette, l’emporta entre 35 et 49 ans. Et les analyses menées au moyen de la tomodensitométrie révèlent avec précision comment son corps fut embaumé en vue de son voyage vers l’au-delà. « Les embaumeurs ont enlevé le cerveau par le nez, avant d’introduire des textiles par la même cavité, sans abîmer les os délicats du nez, ce qui témoigne d’une très grande connaissance de l’anatomie », observe Daniel Antoine. Ainsi, ils ont pu conserver la forme du visage de Tamout. 

Des symboles sur tout le corps
Pour éviter que le corps de Tamout ne se décompose, après avoir pratiqué une incision dans son abdomen, les embaumeurs en ont extrait les viscères. Après les avoir laissés sécher, ils les ont déposés non pas dans des vases canopes, mais dans de petits paquets contenant une figurine de cire, quatre au total, chacune représentant un des quatre fils d’Horus, censés protéger les viscères, replacés à l’intérieur du corps de Tamout. Une vitrine présente les répliques de ces figurines, celle de la plaque de métal placée sur l’abdomen de Tamout pour recouvrir l’incision pratiquée pour extraire ses viscères. On y distingue l’œil oudjat, ou l’œil d’Horus, dont les anciens Égyptiens croyaient qu’il pouvait guérir magiquement les plaies. Pourquoi les embaumeurs ajoutèrent-ils une deuxième plaque pour Tamout ? Le mystère demeure.
Avant d’envelopper le corps de bandelettes de lin, les prêtres-embaumeurs ont recouvert les ongles de la défunte de feuilles de métal, d’or probablement, dont on croyait au pouvoir de régénérescence. Sur les cavités oculaires, ils ont placé des yeux artificiels de pierre ou de faïence – pratique répandue à cette époque – pour donner à Tamout une apparence de conscience et de résurrection par-delà la mort. Sur ses pieds, un scarabée ailé en métal poussant devant lui le disque solaire, évoquant la victoire du dieu soleil Rê sur Apophis, le dieu des ténèbres et du mal. Sur son pubis, un vautour (image des déesses Nekhbet ou Mout) qui pourrait symboliser la renaissance ou un lien avec la maternité. Sur sa poitrine, un « scarabée de cœur » – dont on croyait qu’il pouvait dissimuler aux dieux les mauvaises actions des défunts au moment du jugement –, et, juste au-dessus, un faucon en métal, représentation du dieu soleil Rê-Horakhty et symbole de son pouvoir régénérateur. Sur sa gorge, une déesse agenouillée aux ailes déployées : sans doute s’agit-il de Nout, déesse du ciel et mère éternelle des défunts, auxquels elle insuffle en battant des ailes le souffle nécessaire pour exister. Et de fait, Tamout existe toujours, puisqu’elle nous parle aujourd’hui de sa vie de chair et de sang… 

 "Momies égyptiennes" : l’exposition

Une barque funéraire ouvre l’exposition. Sur les murs, sont projetés le désert et les eaux du Nil. Embarquons ! Pour nous guider dans ce voyage immersif vers l’au-delà alliant art et science, six momies du British Museum ont survolé l’Atlantique, avec dans leurs bagages des images 3D des scanners de leur corps, ainsi que quelque 240 artefacts de la somptueuse collection d’égyptologie du musée : statuettes divines, instruments utilisés pour la momification, jouets – l’une des momies est celle d’un enfant de deux ans –, pièces textiles et même un pain antique, miraculeusement conservé par le climat désertique. Si cette exposition est passionnante, c’est autant par ce contexte qu’elle donne à voir que par les avancées de la recherche qu’elle présente, mettant en lumière que les techniques d’embaumement dans l’Égypte antique, loin d’être fixes et immuables comme on le croyait depuis Hérodote, n’ont au contraire cessé d’évoluer au cours du temps, variant en fonction des zones géographiques et même d’un atelier à l’autre. Le catalogue édité en anglais à l’occasion de l’exposition du British Museum permet de mieux comprendre les investigations des chercheurs britanniques et les résultats de leur enquête. 

« Momies égyptiennes : passé retrouvé, mystères dévoilés »

Jusqu’au 2 février 2020. Musée des beaux-arts de Montréal. Tous les jours de 10 h à 17 h, jusqu’à 21 h le mercredi, fermé le lundi. Tarifs : 24 et 16 $. Commissaires : Marie Vandenbeusch et Daniel Antoine. www.mbam.qc.ca

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Le roman de la momie Tamout

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