Histoire de l'art

PROGRAMME DE RECHERCHE

Le « Retib », outil de recensement de la peinture ibérique en France

Par Elsa Espin · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2025 - 730 mots

Le programme en cours a permis de réattribuer plusieurs œuvres : un panneau donné à Simone Martini a ainsi reçu la confirmation qu’il est de Ferrer Bassa.

Paris. Les peintures espagnoles et portugaises sont moins représentées dans les collections nationales que les peintures italiennes ou des écoles du Nord, malgré la proximité géographique entre la France et la péninsule Ibérique. Elles sont surtout moins étudiées, alors même qu’elles constituent une part importante de notre patrimoine. Pour mieux les connaître et les valoriser, le programme « Recensement des tableaux ibériques dans les collections publiques françaises » (Retib) a été lancé en 2021 sous la direction de Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice en chef au Musée du Louvre, en collaboration avec l’Institut national d’histoire de l’art.

Le Retib prend la suite du projet Baila (Base d’art ibérique et latino-américain), impulsé en 2011 par Guillaume Kientz et qui englobait toutes les productions artistiques. Le Retib se concentre sur la peinture de chevalet entre 1300 et 1870, en excluant les œuvres anciennement attribuées aux peintres espagnols et portugais, ainsi que les œuvres disparues. Il inclut en revanche les copies d’œuvres ibériques antérieures à 1870, qui témoignent de l’essor du goût pour cet art en France au XIXe siècle. La Galerie espagnole du roi Louis-Philippe, installée brièvement au Louvre (1838-1848), a joué un rôle-clé dans cet engouement, et des artistes comme Bartolomé Murillo ont alors connu un immense succès, comme en témoignent les nombreuses copies de ses Immaculée Conception, présentes encore aujourd’hui dans les églises françaises.

Plusieurs réattributions

L’objectif de ce recensement est double : constituer un outil de référence pour les chercheurs et permettre au grand public de redécouvrir ce patrimoine. L’inventaire est progressivement publié en ligne sur la plateforme Agorha, où chaque œuvre fait l’objet d’une notice. À ce jour, plus de 400 œuvres ont pu être répertoriées en Île-de-France, 250 en Nouvelle-Aquitaine et 500 en Occitanie, où la recherche est toujours en cours, l’enquête étant menée au travers de campagnes régionales. Menées en étroite collaboration avec des experts de l’art ibérique, ces investigations ont permis de réévaluer certaines œuvres dont la Pietà de Gonçal Peris Sarrià entrée au Louvre en 2014, ou encore le Portrait de Juan de Palafox, du Musée Goya de Castres (Tarn), classé comme espagnol, qui a récemment pu être réattribué à un peintre du Mexique colonial. Ce recensement a notamment été l’occasion de découvertes notables pour les XVe et XVIe siècles, à l’instar d’une œuvre inédite du peintre primitif Joan Reixach, conservée au Musée Marmottan Monet (Paris), ou encore un Saint Roque au Musée Nélie-Jacquemart-André (abbaye de Chaalis, Oise), anciennement considéré comme italien, qu’il a été possible d’attribuer au peintre Fernando Llanos.

La découverte la plus marquante pour cette période a eu lieu au Musée Labenche de Brive-la-Gaillarde (Corrèze) ; elle fera prochainement l’objet d’une publication dans la Revue de l’Art (no 226). Il s’agit d’un panneau en mauvais état de conservation, représentant sainte Hélène et Constantin tenant la Sainte Croix [voir ill.]. Entrée dans les collections en 1906 sous l’attribution du peintre siennois Simone Martini, l’œuvre a conservé cette attribution jusqu’au début des années 2000, lorsque l’historien de l’art Michel Laclotte l’a rapprochée avec justesse de la production catalane et du style dit « italo-gothique », marqué par une forte influence de l’école siennoise. L’étude menée dans le cadre du Retib a permis d’établir qu’il s’agit d’une œuvre de Ferrer Bassa (actif entre 1324 et 1348), possiblement en collaboration avec son fils Arnau. Peu de documents subsistent sur ces peintres, mais les archives indiquent que Ferrer Bassa travailla successivement pour Alphonse III et Pierre IV d’Aragon. Ce dernier lui confia la réalisation de retables pour les chapelles de ses palais. Or la chapelle du palais des rois de Majorque à Perpignan (Pyrénées-Orientales) était dédiée à la Sainte Croix ; le panneau de Brive pourrait ainsi être le seul élément connu de ce retable démantelé, jusqu’alors uniquement attesté par son contrat de commande signé en 1343.

En plus de la publication des résultats sur Agorha, le Retib est l’objet de tables rondes filmées et diffusées sur la chaîne YouTube après chaque campagne de recensement. Le prochain événement, prévu le 9 octobre à Castres, sera consacré à la région Occitanie. Un colloque en novembre sera aussi l’occasion de rendre hommage à Claudie Ressort, décédée en 2021, dont les travaux ont profondément enrichi la connaissance de la production de cette région aux liens historiques avec l’Espagne.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°651 du 14 mars 2025, avec le titre suivant : Le « Retib », outil de recensement de la peinture ibérique en France

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque