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Le Musée de la marine, une vitrine pour la mer

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2023 - 1031 mots

PARIS

Le nouveau parcours du Palais de Chaillot tient ses promesses avec sa scénographie immersive et ses vitrines originales. L’utilisation de l’espace n’est cependant pas optimale.

Vitrines présentant les maquettes de bateaux dans le Musée de la Marine. © Patrick Tourneboeuf/ OPPIC / Tendance floue
Vitrines présentant les maquettes de bateaux dans le Musée de la Marine.
© Patrick Tourneboeuf / OPPIC / Tendance floue

Paris. Il y a encore quelques mois, il était difficile de percevoir ce qu’allait devenir le Musée national de la marine. Inanimée au printemps, la galerie Davioud a pris vie cet automne : l’intérêt de l’intervention architecturale – menée conjointement par le cabinet français H2O et les Norvégiens de Snohetta – est apparu avec l’inscription des œuvres dans une mise en scène lumineuse, sonore et même olfactive. C’est un véritable décor de théâtre que les architectes ont conçu, un parcours de 2 500 m2 coupé de son environnement (et masquant les fermes en acier du Palais de Chaillot) afin de plonger le visiteur dans l’univers marin. Le terrain de jeu idéal pour les scénographes de Casson Man, dont les propositions très affirmées s’épanouissent sur les pages blanches des plaques de plâtre.

La promesse forte de cette expérience muséographique résidait dans le caractère immersif du parcours, avec des modules aux proportions gigantesques en lieu et place des anciennes cloisons. Promesse tenue dès l’entrée du parcours permanent, où le visiteur est accueilli par un monolithe noir en forme de coque de paquebot, à l’intérieur de laquelle il est secoué par un film l’emmenant sur les mers dans une vue « à la première personne ». Plus loin, une immense vague, image projetée d’une tempête, et son ambiance sonore, accompagne les grandes peintures de naufrage de Théodore Gudin (1802-1880). Étourdissants (au sens propre), ces éléments spectaculaires engagent les visiteurs dans une expérience multisensorielle, loin des musées habituels.

Des vitrines évocatrices

Cependant, plus que dans ces grands effets son et lumière, le vrai spectacle de ce nouveau Musée de la marine est offert par les vitrines. Répondant au défi technique des lieux (l’absence de ventilation mécanique oblige à mettre les objets sous cloche), ces écrins forgent aussi l’identité muséographique de l’exposition permanente. Une palette de tons bleus-gris permet de créer de légers reliefs dans ces vitrines, où l’agencement des objets va souvent enclencher un début de narration : une procession de petits personnages bretons en émail à partir d’une maquette de bateau utilisée comme ex-voto, une volée de harpons prêts pour illustrer la chasse à la baleine, un pont de paquebot où ne manquent que les croisiéristes.

La première séquence apparaissant derrière la coque de bateau montre ce travail fin effectué sur la scénographie des vitrines : surgissent de grands rectangles transparents qui semblent flotter dans la semi-pénombre de cette première « escale » (ainsi sont nommées les différentes parties du parcours). À l’intérieur, une armada de maquettes de navires, du petit gréement embouteillé aux immenses modèles d’apprentissage des marins, est dirigée vers le même cap (la suite du parcours), impulsant un mouvement silencieux. Dans cette scénographie, les montants à l’angle des vitrines centrales ont été retirés, et un cadre métallique a été ajouté à celle installée contre la paroi, ce qui invite à changer ses attitudes de visite : tourner autour d’une maquette du Royal Louis, ou bien s’arrêter devant une accumulation de modèles de coques vus de profils. Là encore, une façon d’engager le corps, certes plus subtile.

Dans le propos muséographique, cette première salle, très pédagogique, explique ce que sont les « modèles d’instruction » (ces maquettes servent à l’enseignement technique des élèves officiers avant de devenir des objets ludiques, scientifiques ou simplement esthétiques) : une entrée en matière bien trouvée, puisqu’ils sont la colonne vertébrale des collections et le fil rouge du parcours permanent. La construction de cette exposition est ensuite délibérément décousue, enchaînant des séquences aux thèmes divers. L’approche thématique, similaire à celle du Musée maritime d’Amsterdam, prend ici place dans une galerie sans cloisons. Ce qui donne parfois lieu à des carambolages étranges, comme lorsque l’immense proue de bateau représentant Napoléon Ier regarde les tenues orange fluo des sauveteurs d’aujourd’hui.

Il ne faudra pas nécessairement chercher de cohérence dans ces enchaînements : le parti pris, assumé, est de perdre le visiteur à mesure qu’il avance, même s’il peut se raccrocher à des bouées explicatives bien signalées. « C’est une scénographie où l’on donne le choix au visiteur, il y a de nombreux endroits où il peut passer, à gauche ou à droite », explique Delphine Rabat, cheffe de projet pour Casson Mann. La « galerie de l’évolution » des techniques navales, au sein de la galerie Davioud, est ainsi accessible par deux escaliers, aux extrémités : suivre le cours de l’histoire ou remonter le temps.

Le décor de « La Réale » particulièrement bien mis en valeur

Si, sur le papier, ce parcours son et lumière laissait craindre un musée délaissant les collections, ces dernières se trouvent bel et bien au centre du propos, bien que cette rénovation ne présente que deux tiers des objets auparavant exposés. Les nombreux dispositifs numériques (une cinquantaine) restent en second rideau de la visite, et proposent des focus sur les œuvres ou objets en vitrine. De même, si la vague ou la coque de paquebot sont pensées comme des points de repère dans le continuum de la galerie, le plus marquant de ces temps forts reste la présentation selon plusieurs points de vue du décor en bois de La Réale, la galère de Louis XIV. Le lourd chantier des collections témoigne également de l’attention portée aux objets, toutes les pièces présentées ayant été restaurées.

Dans l’espace très contraint du Palais de Chaillot, l’utilisation de la surface, dans ce nouveau parcours qui comprend de grands vides dès le hall d’entrée, dessert parfois la valorisation des collections. La très attendue série des « Vues des ports de France » (1754-1765) par Joseph Vernet est ainsi présentée de part et d’autre de cimaises, alors que l’espace ne manquait pas ailleurs pour offrir un regard d’ensemble sur cette commande royale. Certaines séquences, comme celle consacrée au commerce triangulaire, auraient mérité un développement plus important et des recherches dans les collections, quand d’autres semblent inutilement étendues (telle la panoplie des aumôniers des trois religions du Livre étalée sur 4 m de long). Entre de « grands vides » scénographiques et les nombreuses salles consacrées à l’accroissement de ses ressources propres, le musée conserve à sa disposition quelques réserves de surface pour rééquilibrer, à l’avenir, ce parcours présenté comme semi-permanent.

Museée national de la marine,
Palais de Chaillot, 17, place du Trocadéro, 75116 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Le Musée de la marine, une vitrine pour la mer

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