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Le Musée de la Marine fait peau neuve

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 25 octobre 2023 - 1426 mots

PARIS

Après cinq ans de travaux, la vénérable institution va rouvrir au public. L’occasion de revenir sur sa riche histoire et de découvrir ce nouveau Musée de la mer.

Embarquer pour une transat en solitaire, goûter au luxe d’une traversée sur un paquebot des Années folles, être naufragé volontaire dans une tempête ou encore tester les conditions de vie de l’équipage d’un sous-marin : voici quelques-unes des expériences proposées par la nouvelle mouture du Musée national de la Marine. Difficile d’imaginer que cet équipement flambant neuf, doté d’un parcours de visite innovant et multisensoriel, est un des doyens des musées de France. Et même le deuxième plus ancien musée maritime au monde, devancé de quelques années seulement par celui de Saint-Pétersbourg. La genèse de cette institution inclassable remonte en effet au siècle des Lumières et à l’idée visionnaire d’un encyclopédiste, par ailleurs inspecteur de la marine. En 1748, Henri-Louis Duhamel du Monceau (1700-1782) fait don à Louis XV de la collection de modèles de navires et de machines portuaires qu’il a patiemment réunie. Il ne formule qu’une requête au monarque : que cet ensemble soit présenté au Louvre. C’est ainsi que la salle de la Marine voit le jour au sein du palais, conçue comme un outil pédagogique à destination des élèves de la prestigieuse École d’ingénieurs-constructeurs de vaisseaux royaux. Avant d’être des objets d’émerveillement, ces maquettes emblématiques avaient en effet vocation à former les futurs officiers, afin qu’ils se familiarisent avec les manœuvres et l’organisation du navire avant même de monter sur le pont.

Un musée au cœur de l’histoire

La Révolution française va bousculer ce destin, car le fonds originel s’enrichit considérablement à la faveur de saisies dans les maisons royales et des confiscations des biens des émigrés. Cet élargissement va de pair avec une diversification. Les modèles sont ainsi rejoints par des objets variés, mais surtout par des œuvres d’art, notamment contemporain, à l’instar de l’exceptionnel cycle des Vues des ports de France de Joseph Vernet (1714-1789). Une hétérogénéité qui donne à l’ensemble la colorature singulière qui devient sa marque de fabrique. Son autre caractéristique sera de se réinventer constamment au gré des évolutions politiques qui secouent le pays. La salle du Louvre se mue ainsi, sous le Consulat, en éphémère galerie navale au sein de l’hôtel de la Marine, avant de devenir officiellement un musée : le Musée naval, qui regagne ses pénates au Louvre en 1827. Preuve de l’intrication entre l’institution et le pouvoir, c’est Charles X qui acte sa création par un décret royal. Les collections poursuivent leur diversification sous l’égide de l’ingénieur de la marine Pierre Zédé (1791-1863), qui rassemble des pièces provenant de différents arsenaux et palais. Mais, fait exceptionnel, cette époque est aussi celle de la première « décentralisation ». Des salles d’exposition voient le jour dans les arsenaux de Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort et Toulon. Cette polarisation de l’établissement est d’ailleurs un fil rouge, car, aujourd’hui encore, l’institution se déploie sur six musées disséminés sur le territoire.

Une incroyable armada de maquettes

Tributaire du contexte géopolitique, l’établissement est également façonné par les orientations de ses directeurs successifs, à commencer par le mythique amiral Pâris (1806-1893). Car celui qui tient le gouvernail pendant deux décennies sous la IIIe République met non seulement sa passion et ses connaissances au service de cette maison, mais aussi son salaire. Pionnier de la conservation préventive, il fait fabriquer des vitrines sur ses deniers et veille à l’amélioration des conditions de présentation des objets. Il fait également don de sa bibliothèque, et surtout d’une centaine de plans de navires dessinés au cours de ses tours du monde. Une initiative décisive, car ses planches seront reproduites en trois dimensions, donnant vie à une incroyable armada de maquettes qui offrent aujourd’hui un témoignage unique d’une flotte disparue. Son action est telle que l’on estime à un millier le nombre de pièces qui intègrent le musée sous son règne. À telle enseigne que le musée occupe alors une vingtaine de salles du Louvre. La collection connaît un nouveau changement de cap quand les fonds sont réagencés et que les objets ethnographiques sont envoyés dans d’autres établissements. Le rattachement du musée au ministère de la Marine rebat également les cartes et incite à trouver un nouveau port d’attache à cet ensemble atypique. En 1937, il doit franchir la Seine pour prendre ses quartiers dans le tout nouveau palais de Chaillot. Las, le déménagement est retardé par des tracasseries administratives, puis par la guerre. Mais, à l’image des marins, le musée est combatif. Alors que le conflit fait rage, ses trésors, exfiltrés en province, regagnent la capitale et sont dévoilés en 1943, dans une préfiguration du nouvel établissement. La première présentation revêt un message éminemment politique, puisqu’elle fait la part belle à la dimension guerrière de la flotte. Une fois le conflit terminé, le parcours embrasse progressivement des sujets moins martiaux. La navigation marchande, l’aventure de l’exploration sous-marine, la plaisance, mais aussi la voile deviennent ainsi des incontournables de la visite. Et pourtant, si de nouvelles thématiques émergent, le musée ne connaît aucun chantier majeur jusqu’à sa fermeture en 2017 !Totalement vétuste, il nécessitait une refonte totale pour se mettre aux normes et au goût du jour. Son enveloppe a donc été repensée de fond en comble par le groupement d’agences h2o architectes et Snøhetta. Fait unique, la totalité des œuvres présentées, soit un millier d’items, a été restaurée !

À l’accueil, un véritable scaphandre

Impossible de ne pas penser à Jules Verne en découvrant l’extravagant scaphandre articulé des frères Carmagnolle qui accueille les visiteurs dès l’entrée. D’après la légende, c’est d’ailleurs en admirant cet authentique prototype que l’écrivain aurait eu l’idée de « Vingt Mille Lieues sous les mers ! » Ce livre étant paru plus dix ans auparavant, c’est en réalité impossible. Cet impressionnant appareil de plongée n’a toutefois jamais pu faire ses preuves dans les grandes profondeurs, car ses inventeurs se sont aperçus qu’il n’était pas étanche.


"La Réale", une spectaculaire galère royale

Magnifiée par un accrochage qui permet de l’admirer sous toutes les coutures, y compris en contre-plongée, « La Réale » n’a jamais aussi bien porté son nom. La plus belle galère royale nous est parvenue dans un état de conservation miraculeux. Ses monumentales sculptures en bois doré donnent un aperçu saisissant du décor des navires de prestige du Grand Siècle. Le programme iconographique représentant la course du Soleil, entouré des divinités de l’Olympe et de fleurs de lys, est une allégorie du règne de Louis XIV.


Une traversée riche en surprises

Cette maison pluriséculaire a totalement changé de cap pour faire la part belle à l’expérience et aux sensations des visiteurs de tous âges. Le maître des lieux, Vincent Campredon, a en effet fait le pari, payant, de transformer ce musée d’art et d’histoire en un musée de société. Une étonnante maison de la mer qui évoque des enjeux brûlants, de l’écologie à la sphère militaire. Le tout en donnant le goût de la mer et en sublimant les collections par des ambiances audacieuses et des gestes scénographiques forts. Ainsi, un poétique navire abritant une projection immersive plonge le visiteur dans les abysses et les récifs. Riche en surprises visuelles et sensorielles, l’accrochage tire parti de l’architecture tout en courbes pour suggérer le mouvement des vagues, une impression de mouvement encore renforcée par d’ingénieux jeux de lumière. Voyage dépaysant, cette visite aiguise les sens en multipliant les télescopages de matériaux, d’atmosphères ou d’objets provenant d’univers variés. Une traversée originale qui sollicite tous les sens, y compris l’odorat, puisque le public peut même humer les embruns iodés !


Un accrochage immersif pour la série des "Vues des ports de Joseph Vernet"

Difficile à croire, mais cette série mythique n’avait jamais bénéficié d’une restauration fondamentale. C’est désormais chose faite, et les de Joseph Vernet se révèlent enfin dans toute leur splendeur, servies en outre par un accrochage immersif et évocateur. Une atmosphère tamisée renforce la force de cet exceptionnel cycle de grands tableaux commandé par Louis XV pour vanter la puissance portuaire du royaume. Ce monument de la peinture constitue aujourd’hui un témoignage documentaire irremplaçable.


Un dispositif scénographique vertigineux

Temps fort du nouveau parcours, la Vague est un dispositif scénographique inédit et vertigineux. Cette animation, qui apporte une vraie surprise au mitan du circuit de visite, se compose d’une structure monumentale de dix mètres de hauteur qui transporte le spectateur au beau milieu de l’océan. Grâce à une technologie innovante, ce dispositif propulse le public au creux d’une vague géante, entouré par la houle et un flux d’eau continu. Une manière inattendue de faire l’expérience d’un naufrage en toute sécurité.

À voir
Musée national de la Marine,
17 place du Trocadéro, Paris-16e, www.musee-marine.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°769 du 1 novembre 2023, avec le titre suivant : Le Musée de la Marine fait peau neuve

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