Justice

Le commerce illicite des antiquités sanctionné

L’État de New York confisque une fiole antique volée

Par D. C. Mason Peter · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 1998 - 790 mots

Conformément aux lois américaines relatives au commerce illicite des antiquités, le Procureur général de l’État de New York a obtenu que soit confisquée une fiole mésomphale plaquée or, estimée plus d’un million de dollars. D’origine sicilienne, elle date du IVe siècle avant J.-C. Comme le Journal des Arts l’avait relaté cette année (n° 33, février), les lois en vigueur aux États-Unis ont déjà permis au Procureur de l’État de New York de faire confisquer un torse romain importé illégalement. En l’occurrence, le procureur américain a fait suite à une requête du gouvernement italien, basée sur un traité de coopération italo-américain, qui demandait assistance pour la localisation et la restitution de la fiole.

NEW YORK. La fiole a été découverte sur un site archéologique protégé, près de Caltavutaro (Palerme). Elle est ensuite passée entre les mains d’un collectionneur d’antiquités résidant à Catane, Vincenzo Pappalardo. En 1980, Giacomo Manganaro, professeur d’histoire grecque et de numismatique, l’a authentifiée grâce à l’inscription figurant sur son rebord, écrite dans un dialecte dorique qui était parlé dans les anciennes colonies grecques de Sicile. Puis Pappalardo l’a échangée avec Vincenzo Cam­marata, collectionneur sicilien également numismate, contre diverses œuvres d’art d’une valeur de 20 000 dollars (118 000 francs).

En 1991, Cammarata l’a cédée à William Veres, marchand hollandais travaillant pour la société Stedron, en échange d’autres objets d’une valeur de 90 000 dollars. En novembre de la même année, ce dernier l’a revendue au collectionneur new-yorkais Michael Stein­hardt pour plus de 5 millions de francs. À cette occasion, Robert Haber, qui avait servi d’intermédiaire, a perçu une commission de 15 %. Ce marchand new-yorkais avait examiné la fiole en Sicile, en compagnie de William Veres, mais il en a pris possession à Lugano (Suisse) – de l’autre côté de la frontière italienne – et l’a emportée à New York via Zurich.

Selon les termes de la cession, “[une] lettre devait être fournie par Giacomo Manganaro, établissant qu’il avait vu la fiole quinze ans plus tôt en Suisse”. Si elle était saisie par les autorités ou revendiquée par une instance gouvernementale, l’acheteur était censé être remboursé intégralement. Mais lors de son introduction aux États-Unis, les documents d’accompagnement indiquant la Suisse comme pays d’origine, la fiole ne fut pas saisie. Le Metropolitan Museum of Art l’a authentifiée en janvier 1992, et elle est restée en possession de Michael Steinhardt. En novembre 1995, à la suite de la demande du gouvernement italien et de discussions entre les parties concernées, le gouvernement américain l’a fait saisir dans l’appartement de Michael Steinhardt, sur la Cinquième Avenue.

Fausses déclarations
Après deux ans de bataille juridique, deux raisons ont poussé le tribunal a ordonner sa confiscation en novembre 1997. En premier lieu, il a conclu à une violation des règlements douaniers américains : les documents accompagnant la fiole comportaient de fausses indications. S’ils avaient correctement indiqué l’Italie comme pays de provenance, “les services douaniers auraient noté que cette antiquité, datant d’environ 450 av. J.-C., était exportée depuis un pays doté de lois strictes en matière de protection. Ces informations [...] auraient été de nature à empêcher Robert Haber de l’introduire illégalement aux États-Unis”. Michael Steinhardt a revendiqué en vain son droit à conserver la fiole, en tant que “propriétaire innocent”. Le tribunal a statué que ce titre ne pouvait entraîner de décharge et a observé que “le degré de culpabilité de Michael Steinhardt restait flou”.

En second lieu, le tribunal a re­connu le droit de propriété de l’État italien sur la fiole et statué qu’il s’agissait d’un bien volé. L’article 44 de la loi italienne n° 1089 du 1er juin 1939, relatif à la protection des objets d’intérêt artistique et historique, confère à l’État la propriété des découvertes archéologiques et des antiquités, à moins que les parties adverses ne soient en mesure de justifier la possession légale desdits objets et découvertes antérieurement à 1902 – l’année du vote par l’Italie des premières lois protectrices. Le tribunal a ordonné la confiscation de la fiole car on pouvait raisonnablement penser que Robert Haber savait qu’elle avait été volée. Il a également noté que le contrat de cession n’excluait pas qu’elle puisse être saisie ou revendiquée et que Robert Haber avait invoqué le Cinquième Amen­dement – prévenant toutes poursuites judiciaires – lors de son interrogatoire.

Ce cas témoigne de la bonne application des lois américaines en vigueur, au moment où la convention Unidroit fait l’objet de nombreux débats, et en reconnaissant les droits de l’État italien, exclut toute revendication de “possession innocente”. La décision du tribunal new-yorkais rappelle le soin que tout musée, collectionneur ou négociant prudent doit apporter à la documentation de ses acquisitions. Et même si la défense de Michael Steinhardt a fait savoir qu’elle souhaitait se pourvoir en appel, la fiole va retrouver l’Italie.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : Le commerce illicite des antiquités sanctionné

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