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La réouverture du Musée Albert-Kahn franchit un seuil

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2022 - 879 mots

BOULOGNE-BILLANCOURT

Le musée départemental de Boulogne-Billancourt ouvrira ses portes en avril, après une longue campagne de travaux. Le cabinet Kengo Kuma & Associates signe cette extension-rénovation qui puise dans le lexique architectural japonais.

Musée départemental Albert Kahn, nouveau bâtiment conçu par l’architecte Kengo Kuma. © CD92 / Julia Brechler
Le Musée départemental Albert-Kahn, nouveau bâtiment conçu par l’architecte Kengo Kuma.
© CD92 / Julia Brechler

Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). 2 avril 2022 : cette fois la date de réouverture du Musée Albert-Kahn et de ses jardins ne devrait connaître aucun contretemps. À Boulogne-Billancourt, la livraison du chantier muséal porté par le Département des Hauts-de-Seine était initialement fixée à 2017, soit quatre ans après l’attribution du marché de réhabilitation au cabinet d’architecture japonais Kengo Kuma & Associates. Fin 2018, c’est la défaillance d’une entreprise du groupement chargé du clos et du couvert qui rallonge considérablement les délais, car il faut relancer la procédure d’appel d’offres depuis le début. Enfin, la crise sanitaire repousse l’ouverture envisagée en 2021 à 2022…

Pour oublier les nuages accumulés au-dessus de ces travaux chiffrés à 26 millions d’euros (intégralement financés par le Département), une promenade bucolique dans les jardins du musée semble tout indiquée. Et pourquoi se presser, puisque la « démarche de valoriser ces collections a 50 ans », comme le rappelle Nathalie Doury, directrice des lieux.

Avant d’être la propriété du Département de la Seine puis des Hauts-de-Seine, le jardin était l’éden, mais aussi le salon de réception et le laboratoire du banquier et philanthrope qui donne son nom au lieu. À partir de 1895, Albert Kahn (1860-1940) acquiert en effet parcelle par parcelle ce jardin qu’il aménage comme un scénographe : on y déambule d’un village japonais aux forêts vosgiennes de l’enfance du banquier, en passant par un jardin à la française.

Les Archives de la planète

À la suite du krach boursier de 1929, le banquier est ruiné et doit se séparer de son jardin. Le Département de la Seine hérite des lieux, ainsi que de la collection des « Archives de la planète », un travail colossal entrepris en 1909 par Albert Kahn qui avait pour objectif de documenter le monde. Pour ce faire, il enverra des opérateurs sur les cinq continents, armés de deux innovations des frères Lumières, le cinématographe et l’autochrome, première technologie de photographie couleur. En 1986, les Hauts-de-Seine créent un musée départemental afin de valoriser les collections et le jardin. Une démarche qui aboutit aujourd’hui au nouveau Musée Albert-Kahn, dont le parcours relate l’aventure des Archives de la planète et en présente la gigantesque collection d’images collectées pendant plus de vingt ans.

La galerie (engawa) du Musée départemental Albert-Kahn. © CD92 / Julia Brechler
La galerie du Musée départemental Albert-Kahn.
© CD92 / Julia Brechler

Pour donner corps à ce musée-jardin, le cabinet de Kengo Kuma a imaginé un projet conçu autour de la notion japonaise d’engawa avec une galerie qui fait le lien entre l’extérieur et l’intérieur, un élément ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors [voir ill.]. Cette conception nippone du seuil permet de créer un parcours continu entre l’extension principale, construite dès 2017, le jardin, et la petite dizaine de bâtiments disséminés. L’extension du musée, qui s’avance comme la proue d’un bateau sur le rond-point Rhin-et-Danube, crée ainsi un jeu de transparence entre la ville, les espaces d’exposition et le jardin, voilé par des sudare, ces stores à la japonaise transposés ici en une alternance d’aluminium et de pin.

Dans le jardin, c’est le paysagiste Michel Desvigne qui a créé le discret lien végétal entre ce nouveau bâtiment, le jardin et les bâtiments qui, parsemés le long d’un cheminement en pierre, forment ensemble le parcours du musée. Car l’extension flambant neuve de 2 300 m² abrite la grande salle introductive présentant l’aventure des Archives de la planète, ainsi qu’un espace d’exposition temporaire, un restaurant et un espace dévolu aux familles ouvert gratuitement. L’introduction au parcours déploie une scénographie particulièrement spectaculaire, avec son immense mur recouvert de quelque 2 000 autochromes : une invitation à « plonger dans la masse » des collections, lesquelles recensent 72 000 autochromes et 4 000 stéréoscopies noir et blanc.

Salle des Archives de la Planète dans la nouvelle extension du Musée départemental Albert-Kahn. © CD92 / Julia Brechler
Musée départemental Albert-Kahn, nouveau bâtiment conçu par l’architecte Kengo Kuma.
© CD92 / Julia Brechler

Une équipe de restaurateurs photographiques est d’ailleurs intégrée au musée pour conserver cette gigantesque collection : c’est elle qui en a numérisé l’intégralité durant le chantier. Car le défi du nouveau parcours est de montrer de manière sensible l’ensemble photographique sans exposer un seul original, les pièces étant trop fragiles. Sur les cimaises, les reproductions présentées restituent parfaitement l’illusion de la technique granuleuse de l’autochrome, qui utilise de la fécule de pomme de terre pour révéler les couleurs. Dans cette première partie, un large espace circulaire façon « salle de contrôle » permet aussi de s’immerger numériquement dans la collection par thématique.

Un musée-jardin

Après ce préambule sensationnel, le parcours se poursuit dans le jardin et ses dépendances. Dans ces petits bâtiments, la scénographie de l’atelier Scenorama – engageante et ludique dans la partie introductive – ne semble cependant pas tirer le meilleur parti de ces espaces réduits. La Fabrique des images est ainsi saturée par un dispositif muséographique reproduisant les malles de voyage des opérateurs d’Albert Kahn, tandis que les deux extensions de la Palmeraie sont à l’inverse plutôt chiches en contenu.

Une fois passée la porte de la nouvelle extension, il faut garder en tête « l’idée [d’]un parcours permanent qui ponctue la visite du jardin », comme l’explique Magali Melandri, directrice déléguée à la conservation. Ce « musée-jardin » est avant tout pensé comme un lieu de déambulation, qui s’adresse d’abord à un public francilien. Avec l’objectif de « transformer les usagers du jardin en amoureux de nos collections », ambitionne la directrice des lieux.

Musée départemental Albert-Kahn,
à partir du 2 avril, 2, rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Le Musée Albert-Kahn franchit un seuil

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