Royaume-Uni - Musée - Réouverture

La National Portrait Gallery change de visages

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2023 - 920 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

Après trois ans de travaux, le musée londonien présente un espace mieux adapté à sa fréquentation et un parcours plus représentatif du Royaume-Uni actuel.

La National Lottery Heritage Fund Gallery dans la National Portrait Gallery. © Dave Parry
La National Lottery Heritage Fund Gallery dans la National Portrait Gallery.
© Dave Parry

Londres, Royaume-Uni. Une nouvelle entrée et un nouveau parvis : la National Portrait Gallery peut enfin accueillir ses quelque 2 millions de visiteurs par an par les trois portes initialement prévues, en 1896, pour constituer le seuil monumental du musée. C’était avant qu’un important donateur mette son veto à cette ouverture directe sur le quartier très animé de Soho, et déporte l’accès au musée sur le côté. Rouverte au terme de trois ans de travaux et d’un budget de 44 millions de livres sterling [51,2 M€], la National Portrait Gallery s’annonce dès l’entrée plus accueillante.

Les trois portes monumentales en bronze créées pour l’occasion sont ornées de 45 portraits féminins, réalisés par l’artiste britannique Tracey Emin. Des figures sans nom et sans identité, qui rééquilibrent la façade du bâtiment honorant des personnalités uniquement masculines : Antoon Van Dyck, William Hogarth, Thomas Lawrence font partie des quinze bustes surplombant cette entrée. « Nous avons profité des travaux pour amorcer un changement : repenser le contenu de la National Portrait Gallery. Nous avons une vision plus large qu’auparavant », explique Lucy Peltz, conservatrice des collections du XVIIIe siècle. Plus de figures féminines, plus d’hommes et de femmes racisés, issus de l’histoire coloniale et des anonymes aux côtés de l’arbre généalogique royal d’Angleterre : la nouvelle National Portrait Gallery veut ressembler à un album de famille complet plutôt qu’à une page du « Who’s Who ».

Par l’acquisition du magnifique Portrait de Mai de Joshua Reynolds (une acquisition partagée avec le Getty pour réunir la somme de 50 millions de livres sterling), le musée répond à l’exigence de représentativité dans son accrochage : l’explorateur, premier Polynésien, à visiter la Grande-Bretagne au XVIIIe siècle, est dépeint par le peintre du « grand style » britannique dans toute sa noblesse, lui conférant la même stature qu’à ses modèles européens. Avec cette œuvre, qui servit de carte de visite à Reynolds jusqu’à sa mort, la National Portrait Gallery bat en brèche une autre critique récurrente sur ses collections : ce serait finalement un musée ne présentant que des œuvres mineures, dont l’intérêt serait d’offrir un aperçu de la belle société britannique.

De l’usage des portraits

Beaucoup d’efforts ont donc été déployés dans ce nouveau parcours pour transformer ce que certains critiques décrivent comme une « cocktail party » en un véritable musée thématique, consacré au genre particulier du portrait. Dans cette institution où tous les cartels commencent par le nom du modèle, et non celui de l’artiste, l’accent est désormais mis sur l’usage des portraits, leur contexte de création et leur réception. De nouvelles œuvres exceptionnelles étayent cette nouvelle préoccupation. Le paravent conçu par Henry Angelo pour Lord Byron montre l’usage qui était fait des portraits gravés. Le maître d’armes du poète y a réuni d’un côté des gravures des champions de boxe, de l’autre, les actrices, acteurs et dramaturges de son temps, réunissant les deux passions de son élève et ami. Ce grand collage constitué de centaines de gravures est un témoignage rare et précieux de la diffusion et de l’utilisation des portraits imprimés ; en prêt dans le parcours permanent, la National Portrait Gallery souhaite l’acquérir rapidement.

La relique de Byron n’est que la plus spectaculaire de ces ajouts au parcours permettant d’offrir une vision du portrait qui dépasse l’accrochage de figures royales sur un mur tendu de tapisseries rouges. On trouve ainsi un album de famille victorienne, dont une page est méticuleusement tapissée d’une centaine de photographies découpées, le « mur de la gloire » constitué de portraits photographiques au format « carte de visite » dont l’Angleterre victorienne raffolait, jusqu’au « Everyday portraits », une petite vitrine où sont présentées les cartes Panini des joueurs de l’équipe nationale de football, des caricatures de Margaret Thatcher, et même une enseigne publicitaire représentant la reine Victoria. Un dispositif dont Lucy Peltz se dit « stupidement fière », et qui rapproche les usages d’hier à ceux d’aujourd’hui.

Figures de la colonisation

Le rééquilibrage des personnes représentées dans les collections s’est fait grâce à de nombreux prêts, comme celui d’un portrait du colonel Skinner, métis indo-britannique, appartenant à la British Library. Des figures présentes dans le fonds du musée sont également mises en avant, comme le chevalier d’Éon, un personnage romanesque du XVIIIe siècle qui incarne aujourd’hui la fluidité du genre , ou le compositeur d’origine sierra-léonaise Samuel Coleridge-Taylor. Esclave devenue filleule de la reine Victoria, Sara Forbes Bonetta fait l’objet d’un focus dans le parcours : elle est le modèle le plus recherché par les visiteurs sur le site du musée. Mais c’est une histoire plus complète que la National Portrait Gallery propose : en tant que musée à vocation historique, elle présente les acteurs de la traite négrière ou de la colonisation. Dans ce nouveau parcours, les meneurs de révoltes et les insurgés des siècles passés gagnent plus de place sur les cimaises.

La visite s’essouffle un peu avec les XXe et XXIe siècles, qui réservent toutefois de très belles pièces, notamment photographiques. Le musée a d’ailleurs laissé une large place aux photographies (du XIXe notamment), qui forment désormais 20 % des œuvres accrochées (contre 4 % auparavant). Le « mur Chanel », financé par la maison de mode, rassemble une collection assez fade de photographies d’actrices, d’artistes et de femmes célèbres des dernières décennies.

Le parcours se clôt magistralement par une petite salle sombre où sont présentés des masques mortuaires. Un troublant memento mori et une ultime réflexion sur l’usage du portrait : tout premier genre pictural, selon l’antique légende de Boutadès, il a le pouvoir quasi magique de rendre les absents présents.

National Portrait Gallery
St. Martin’s Pl, WC2H 0HE Londres, Royaume-Uni.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°616 du 8 septembre 2023, avec le titre suivant : La National Portrait Gallery change de visages

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque