La Havane, quatre cents ans d’architecture

L'ŒIL

Le 26 janvier 2010 - 1312 mots

Découverte par Colomb, colonisée par l’Espagne, habitée par Hemingway et conquise par Castro, la plus grande île des Caraïbes ancre depuis toujours son identité à La Havane. Visite d’une capitale classée au patrimoine mondial de l’Unesco.

Cette ville qu’Hemingway aimait tant, c’est la vieille Havane, la capitale historique et fortifiée de Cuba que l’écrivain visite pour la première fois en 1928. « La plus belle île que l’œil humain n’eut jamais contemplée », écrit déjà Christophe Colomb en y débarquant avec le Santa Maria en 1492.
 
Ce que son carnet de bord ne dit pas, les Indiens vont l’apprendre à leurs dépens. La Conquista est en marche, Hernán Cortés y travaille à coups d’éperons, et ses troupes sont sans pitié. Avant lui, c’est Diego Velázquez de Cuéllar qui va fonder La Havane en 1515 sur la côte sud de l’île, près de l’entrée du golfe du Mexique où le Gulf Stream est suivi par les navigateurs pour traverser l’Atlantique vers le Vieux Continent.

Une physionomie dessinée durant l’âge d’or espagnol
Après quelques essais infructueux, La Havane sera déplacée en 1519 au nord de Cuba, non loin de ce qui était appelé jusqu’alors Puerto de Carenas, littéralement la « zone de carénage ». Port stratégique, la ville s’étend à l’ouest et au sud d’une baie qu’on embouque par une passe étroite, et qui débouche sur trois refuges : Marimelena, Guanabacoa et Atarés. À quelques kilomètres à l’ouest de la baie, la rivière Almendares, qui traverse la ville du sud vers le nord, se jette dans le détroit de Floride.

À l’époque, d’autres flottes plus ou moins officielles rêvent aussi d’y jeter leur dévolu. Pirates, corsaires et autres boucaniers, tous veulent ravir aux Espagnols la fille aînée des Grandes Antilles, et posséder cette perle des Caraïbes. Au fil du sabre, ils s’arracheront longtemps ce paradis sur terre, ses beautés naturelles et ses trésors engloutis. Bref, Cuba fut la proie d’ambitions sauvages et victime d’attaques régulières.
 
Ces assauts destructeurs, comme celui de Jacques de Sorès qui mit en 1555 La Havane à feu et à sang, décidèrent les Espagnols à construire sur ses hauteurs un château fort dont la ville porte toujours l’inscription. Et ce, pour défendre La Havane contre ses ennemis, mais aussi contre les dangers de la contrebande.
 
En même temps, la couronne regroupe ses galions qui croisent remplis d’or vers l’Espagne, en un unique convoyage plus facile à protéger pour son Armada. En 1561, tous les navires en partance pour l’Espagne furent requis d’assembler cette flotte dans la baie de La Havane. Sur place, les biens échangés incluaient l’or, l’argent, la laine d’alpaga des Andes, des émeraudes de Colombie, de l’acajou de Cuba et du Guatemala, du cuir de La Guajira, des épices, de la teinture de campêche, du maïs, du manioc et du cacao.

L’éclosion des monuments au XVIIe siècle
En 1563, le gouverneur de l’île se développe et déménage de Santiago de Cuba à La Havane. Finalement, un décret royal de la couronne admet officiellement l’influence de la cité portuaire, la désignant en 1634 comme « Clé du Nouveau Monde et Rempart des Caraïbes ».
 
D’un seul coup, celle-ci connaît une croissance exponentielle de monuments civils et religieux, parmi lesquels le couvent de Saint-Augustin, le château d’El Morro, la chapelle de Humilladero, la fontaine de Dorotea de la Luna in La Chorrera. Parallèlement, des centaines d’immeubles sortent de terre, parachevant l’expansion urbaine de La Havane devenue la troisième plus grande ville du Nouveau Monde vers 1750, avec 70 000 habitants environ.

Anciennement le plus gros centre-ville d’Amérique latine, la Habana Vieja constitue le cœur historique de La Havane. À elle seule, l’inspiration baroque de l’architecture ibérique, qui domine dans le quartier de Vedado, vaut tous les détours. Joyau architectural de l’époque coloniale, la place de la cathédrale n’est plus la plaza des Marias, depuis la consécration de la cathédrale San Cristobal en 1789.

La restauration des façades ne cache pas un manque de moyens
Après deux siècles de quasi-abandon, les façades hispano-mauresques ont retrouvé un peu de leur splendeur déchue, grâce aux travaux de restauration conduits par le gouvernement. Privilégiant les monuments et les vestiges les plus importants, ledit programme concerne également certaines boutiques et maisons.
 
À ce propos, on ne manquera pas, à La Havane, de franchir le seuil des grands hôtels d’époque, pour y admirer la beauté et le génie de l’âge d’or espagnol. Au sein de leurs cours intérieures, ces hauts lieux que la mémoire des fastes d’antan continue de hanter recèlent bien souvent des ensembles décoratifs et de pierre taillée à couper le souffle. On y appréciera le jeu d’un orchestre cubain (omniprésent), et le goût rafraîchissant d’un mojito sur fond de végétation luxuriante.

Mais si la capitale cubaine cherche à faire peau neuve pour les touristes, pour les Cubains, c’est toujours l’embargo américain qui pèse lourdement sur le quotidien depuis 1962. Chargés d’histoire et de splendeurs révolues, des palais fantomatiques côtoient ainsi des immeubles populaires, formant un patchwork insolite pour l’étranger.
 
Le pays souffre du manque cruel de moyens pour valoriser son patrimoine architectural et artistique. Des somptueuses demeures hispano-andalouses aux élégantes villas tropicales de style Art déco, en passant par ses innombrables arcades, pilastres et autres colonnades néoclassiques, La Havane présente encore l’une des plus brillantes variations architecturales qui soient au monde.

El Malecón
En espagnol, malecón signifie « digue » ou « môle ». Long de sept kilomètres, la promenade surplombe en un arc parfait l’océan au nord de La Havane. Aménagé en 1901 entre le Castillo de la Punta et le Castillo de la Chorrera, ce front de mer est parfois heurté par les vagues en gerbes d’écume. Le soir, ce mur sert de banc à ceux qui s’y retrouvent pour faire la fête. À lui seul, le Malecón couvre l’histoire de l’architecture locale, de la forteresse de la Force royale dans la vieille ville, jusqu’aux hôtels des années 1950 comme le Riviera, en passant par les demeures seigneuriales fin XVIIIe, aux couleurs délavées par le vent et le sel.

Museo de Bellas Artes
Inauguré en 1913, le Musée national des beaux-arts est installé depuis 1954 dans le palais des Beaux-Arts, conçu par Rodriguez Pichardo, et dans un second édifice créé par Jose Linares. Si les collections d’art cubain sont abritées dans le palais des Beaux-Arts qui présente à travers 24 salles quelque 1 200 œuvres, des périodes anciennes et classiques jusqu’aux périodes modernes et contemporaines, celles du Palacio del Centro Asturiano sont consacrées à l’art universel ou international.
Palacio de Bellas Artes, Trocadero, e/Zulueta y Monserrate. Et Palacio del Centro Asturiano,San Rafael, e/Zulueta y Monserrate. Du mardi au samedi, de 10 h à 18 h, le dimanche jusqu’à 14 h. Fermé le lundi.

Plaza de Armas
Au centre de la vieille Havane, c’est la plus ancienne place de la ville, l’antique cœur gouvernemental de l’île. Un jardin y abrite, en son milieu, de jolies fontaines et la statue de Carlos Manuel de Céspedes, que les Cubains surnomment aussi « le Père de la patrie ». À l’ombre des fromagers et des palmiers royaux, on y contemple les façades baroques et les arcades des palais qui la bordent. La semaine, des bouquinistes y présentent leurs éditions originales sur la révolution, les arts et les lettres, mais aussi la pêche au gros.

El Floridita
C’est dans ce bar, au 557 de la calle de Obispo, l’artère la plus fréquentée de La Havane, qu’Ernest Hemingway et Constantino Ribalaguai, le propriétaire de l’époque, inventèrent, dit-on, le daïquiri. Cocktail cubain par excellence, on le sert avec du rhum de marque Havana Club de préférence, un jet de citron vert bien pressé, et beaucoup de glace pilée. Pour l’anecdote, l’auteur du Vieil homme et la mer le buvait double et sans sucre, au bout du comptoir, où son tabouret est aujourd’hui occupé par sa statue en bronze… Et puis, aucune interdiction n’y empêche de fumer le havane !
www.floridita-cuba.com

Biennale de La Havane

Créée en 1984, la biennale de La Havane fut lancée pour exposer les tendances récentes de l’art actuel. Organisé par le centre Wifredo Lam, l’événement favorise la production des pays de l’hémisphère Sud. Ainsi son premier festival mit-il en valeur les artistes originaires d’Amérique latine et des Caraïbes, avant de voir les suivants s’élargir à ceux d’Afrique et d’Asie, puis au reste du monde. Effaçant quelques critiques « antioccidentales », sa 10e édition remporta en 2009 un beau succès d’estime, sur le thème « Intégration et résistance à l’ère de la mondialisation » (prochaine édition en 2011). www.bienalhabana.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : La Havane, quatre cents ans d’architecture

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