Musée

L'actualité vue par

Hubert Astier

Président de l’établissement public du Musée et du domaine national de Versailles

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 21 février 2003 - 1600 mots

VERSAILLES

Président de l’établissement public du Musée et du domaine national de Versailles depuis 1997, Hubert Astier vient d’être renouvelé à ce poste pour la deuxième fois consécutive. Né en 1938, il a été directeur de la Cinémathèque française (1978-1982), délégué général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (1987-1992), avant de rejoindre en 1993 le cabinet du ministre de la Culture Jacques Toubon. Il commente l’actualité.

Le gouvernement vient de présenter un ensemble de mesures visant à dynamiser le mécénat en France. Versailles n’a pas attendu ces mesures pour faire appel à des mécènes, puisque la rénovation de la galerie des Glaces (10 millions d’euros hors taxes) est entièrement financée par le groupe Vinci. Comment doit, selon vous, s’organiser le mécénat en France ?
Il existe deux catégories de mécénat : celui des entreprises et celui des particuliers. Pour le premier, se pose le problème de la contrepartie, qui ne doit pas être trop élevée par rapport au montant donné. Sinon, il s’agirait d’une opération de prestation de services, d’échange de marchandise. À travers le mécénat, l’entreprise vise toujours à communiquer. Concrètement : sur place, nous citons largement le mécénat de Vinci pendant la durée des travaux sur des panneaux de chantier, des encarts discrets à la billetterie ou dans d’autres points d’accueil, ainsi que sur tous nos documents d’information. Bien entendu, nous faisons attention à ne pas être envahis. De son côté, le mécène utilise la restauration comme argument de sa propre communication. Il existe aussi une autre contrepartie : la possibilité de prêter gratuitement, une fois par an, des lieux d’accueil du château (la galerie des Batailles ou l’Orangerie en été), lieux qu’habituellement nous louons assez cher. On essaye également de faire en sorte qu’il y ait une correspondance entre le type d’action financée et l’activité de l’entreprise. La société japonaise Kubota (qui nous vend des machines pour entretenir le parc) a ainsi orienté son mécénat vers les jardins de Versailles, et la société Chronopost, vers le Cabinet des dépêches. La restauration de la galerie des Glaces correspond parfaitement aux compétences de l’entreprise BTP Vinci, puisque celle-ci s’occupe également de restaurer les monuments historiques.
Le mécénat des particuliers est différent, ces derniers ne recherchant pas de publicité. Souvent même, ils préfèrent rester discrets. Dans ce cas, on est beaucoup plus proches du mécénat “pur” : l’argent est donné bénévolement, sans contrepartie. La fondation American Friends of Versailles, mise en place par M. et Mme Hamilton et qui réunit 600 membres, applique la méthode – classique aux États-Unis – du “charity diner” : des dîners très coûteux (un minimum de 5 300 euros par couvert) sont organisés pour récolter des fonds. Ces dons sont totalement déduits des impôts américains, ce qui montre la souplesse de leur système. Dans ce cas, c’est presque l’État américain qui nous subventionne !

Contrairement à ce qu’affirmait le ministre de la Culture et de la Communication Jean-Jacques Aillagon, lors de l’inauguration du chantier de la galerie des Glaces, le 27 janvier dernier, l’encouragement au mécénat n’est-il pas le signe d’un désengagement de l’État ?
Non. Il n’y a pas de désengagement de l’État. En ce qui nous concerne, la situation est très nette : l’État donne de plus en plus d’argent, en même temps que se développe le mécénat. Pendant très longtemps (à compter des années 1970), l’État ne s’est pas préoccupé de Versailles, le laissant sans entretien, sans rénovation… Quand j’ai pris la tête de l’établissement en janvier 1997, nous avons mis au point un schéma directeur prévoyant de grands travaux. Échelonnés sur quinze ans, ils ont pour objectif la remise en état du domaine, et ce à tous les niveaux (la sécurité, les toits, les menuiseries, les réseaux, etc). L’État a tout de suite augmenté ses subventions. D’un montant de 6 millions d’euros en 1997, elles s’élèvent aujourd’hui à 25 millions d’euros. Prochainement, elles devraient atteindre une trentaine de millions. En six ans, l’État aura donc multiplié par six ses subventions. Il s’engage beaucoup plus qu’avant.

À propos du rôle de l’État, récemment, Michel Vauzelle, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a proposé de prendre sous tutelle l’ensemble des monuments nationaux situés sur son territoire. Cette initiative relance le débat sur la décentralisation et sur la nécessité de réformer la gestion des monuments historiques. Comment jugez-vous la situation ?
Les classements et la législation de monuments historiques doivent absolument rester dans les mains de l’État. Cela soulève trop d’enjeux et d’intérêts contradictoires pour les confier aux élus. En revanche, la gestion des monuments pourrait facilement être confiée à des collectivités locales, qui s’adaptent plus rapidement à une situation. Par exemple, pour l’installation de l’Académie du spectacle équestre Bartabas dans les Grandes Écuries du château de Versailles, le département a donné sa réponse en vingt-quatre heures. Les collectivités locales ont une meilleure capacité de réaction, de souplesse d’organisation. On l’a vu récemment avec les lycées, dont l’administration a été confiée aux régions.

Comme le Musée du Louvre, le château de Versailles est un établissement public administratif (depuis 1995). De nombreuses institutions se tournent vers ce statut. Celui-ci représente-t-il, selon vous, une forme de gestion idéale pour un musée ?
Pour Versailles, c’est bien mieux ainsi. Gérer le château depuis Paris était absurde. À présent, nous avons notre propre budget et, chaque fois que nous faisons des recettes, elles restent sur place. Cela représente une grande source de motivation pour les membres du château. Le statut d’établissement public a une autre vertu. Pour notre institution, qui est très dispersée physiquement, la tradition voulait que l’univers du musée, géré par le conservateur en chef, soit totalement séparé de celui du domaine, pris en main par l’architecte en chef du parc. Cette situation représentait une véritable source de conflits. Depuis mon arrivée, une autorité d’arbitrage sur place et immédiate permettant de mieux trancher les questions a été mise en place.
Nous connaissons actuellement deux faiblesses : la gestion très lourde du personnel, qui dépend toujours du ministère – situation qui devrait changer d’ici deux ans, à l’instar du Musée du Louvre, qui est responsable de son personnel depuis janvier 2003. D’autre part, la procédure de comptabilité publique alourdit notre travail. Comme nous n’avons pas de subvention d’État pour le fonctionnement, nous pourrions avoir un statut proche de l’établissement public industriel et commercial. Les syndicats et les personnes sont très méfiants vis-à-vis de ce type de situation, qui, pour eux, s’apparente à une privatisation. Mais la réforme du budget de l’État devrait, dans deux ou trois ans, régler la question.

Pensez-vous que le statut d’établissement public puisse s’appliquer à des musées de moins grande envergure que Versailles ou le Louvre ?
Je crois qu’il y a une taille en dessous de laquelle c’est impossible. Il faut avoir un minimum d’indépendance financière. Bientôt, le Musée d’Orsay et le Musée des arts asiatiques-Guimet vont devenir des établissements publics. Pour Orsay, dont le nombre annuel de visiteurs s’approche du million, je pense que cela ne posera pas de problème. Pour Guimet, qui avoisine les 300 000 visiteurs par an, la situation me semble déjà plus délicate. Un établissement public coûte cher ; il faut tout un staff administratif (service juridique, service des marchés, agent comptable, direction du personnel) que certains musées ne peuvent assumer.

Quel regard portez-vous sur le projet avorté du Musée du Louvre, qui souhaitait déménager l’Union centrale des arts décoratifs du pavillon Marsan, rue de Rivoli, pour y installer ses collections d’art islamique, projet auquel le ministère n’a finalement pas donné suite ?
À titre personnel, je trouve un peu gribouille de déloger l’Ucad, pour lequel avait été lancé un vaste processus de réorganisation aujourd’hui encore inachevé. Il ne faut pas tout faire dans la précipitation. Le ministre de la Culture a pris une sage décision.

Versailles est l’un des sites les plus visités de France. Comment cela se traduit-il en termes d’accueil des publics ?
C’est notre gros point faible. Pour le parc, nous ne rencontrons pas trop de problèmes. En revanche, il y en a beaucoup pour le musée, qui manque d’espaces d’accueil, de toilettes, d’un restaurant, d’une belle boutique. Actuellement, cela fait partie des priorités ; le chantier est d’ailleurs commencé. Nous avons prévu un système très simple de fonctionnement, permettant aux visiteurs de choisir eux-mêmes leur propre circuit. La grille qui a existé jusqu’à la fin du XVIIIe siècle entre les pavillons Dufour et Gabriel sera rétablie. Ceux-ci constitueront alors les deux grandes portes d’entrée du château, l’une dévolue aux groupes, l’autre aux individuels. Les locaux de l’administration seront installés dans l’ensemble du Grand Commun du roi, qui nous a été rendu après le déménagement de l’hôpital militaire. Ainsi dégagé, le pavillon Dufour accueillera les visiteurs au rez-de-chaussée, tandis que le premier étage sera consacré à la boutique, et le deuxième, aux guides conférenciers. Quant à la tarification, nous avons lancé, il y a deux ans, un “passeport journée”, qui a connu un grand succès, formule que nous souhaitons généraliser.

Des expositions ont-elles retenu votre attention récemment ?
Je dois avouer que je n’ai pas beaucoup le temps d’aller en visiter. Dernièrement, j’ai pu voir “Matisse-Picasso” au Grand Palais, à Paris. Le concept de cette exposition m’a paru un peu artificiel : on a rapproché des tableaux superbes pour avoir deux peintres connus, mais le propos n’était pas très convaincant. Pour sa part, à l’occasion des Années croisées France-Chine, le château de Versailles accueillera une grande manifestation, en octobre prochain, sur l’empereur chinois contemporain de Louis XIV. Celle-ci sera préparée avec la Cité interdite de Pékin (qui doit nous prêter deux cents pièces), où sera ensuite organisée une exposition sur Louis XIV.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : Hubert Astier

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