Art contemporain

PATRIMOINE

Gisors valorise enfin l’œuvre de Dado

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2020 - 844 mots

GISORS

L’artiste, venu en voisin, avait peint « Le Jugement dernier » sur le mur du chœur de la chapelle de la léproserie de cette petite cité normande. La Ville vient de restaurer l’édifice classé monument historique et souhaite inscrire le site dans son projet culturel.

Le Jugement dernier de Dado sur les murs de la chapelle Saint-Luc de la léproserie de Gisors. © DR
Le Jugement dernier de Dado sur les murs de la chapelle Saint-Luc de la léproserie de Gisors.
© D.R.

Gisors (Eure). C’est une pépite méconnue des touristes autant que des locaux. Il faut dire, à leur décharge, que la chapelle Saint-Luc de Gisors n’est pas située dans un endroit propice à la flânerie. Elle se dresse en effet à l’écart de la cité entre le cimetière et l’hôpital, bordée d’un côté par les champs, de l’autre par une route départementale très passante. Cette situation excentrée apparaît toutefois logique quand on connaît son histoire, car la chapelle est le dernier vestige de la léproserie Saint-Lazare fondée au XIIIe siècle. Afin d’éviter les contagions, ce type de structure était de fait systématiquement installé à l’écart des villes.

Rare témoignage des léproseries en France, l’édifice a toutefois failli disparaître et a été fortement remanié, comme en atteste son architecture hétérogène. Le bâtiment se compose ainsi d’un assemblage de deux parties rectangulaires ; l’une en pierre calcaire, l’autre construite à colombages. Transformé en grange après la Révolution, il a entamé une longue période de déshérence jusqu’à la fin du XXe siècle, quand le bâtiment menaçait purement et simplement de s’écrouler. Classée au titre des monuments historiques, la chapelle bénéficie alors d’un chantier de sauvetage. En 1998, ces travaux attirent l’attention et la curiosité d’un illustre voisin : le peintre Dado, qui vit à quelques encablures de là, au moulin d’Hérouval. Ému par le lieu et son histoire, l’artiste demande à la direction régionale des Affaires culturelles Normandie et à la Ville, qui est propriétaire de l’édifice, l’autorisation de réaliser une peinture monumentale sur le mur du fond, l’ancien mur du chœur. Il recouvre rapidement les parois de figures souffrantes évoquant le Jugement dernier, remplissant à peu près toutes les surfaces vierges, peignant même la porte. « L’artiste a quelque peu débordé… », sourit Alexandre Rassaërt, le maire de Gisors. « D’ailleurs je crois qu’il y a eu des tensions à l’époque et cela s’est mal terminé car les responsables lui ont repris les clefs puisque l’accord initial n’avait pas été respecté. Depuis, c’est un site qui ne fait toujours pas consensus, et à ma connaissance il n’a jamais été vraiment exploité. C’est un lieu confidentiel qui n’a pas été valorisé alors que c’est quelque chose d’unique et un atout pour la Ville. »

Une œuvre en péril

Jusqu’à présent, le site était en effet ouvert à la visite seulement lors de manifestations ponctuelles, comme les Journées européennes du patrimoine, ou pour le faire découvrir à des chercheurs ou des artistes triés sur le volet. Ce lieu un peu oublié commençait discrètement à se dégrader. La partie inférieure des murs, et les peintures exécutées à leur surface, s’étaient en particulier altérées à cause des particules friables du sol en chaux qui érodaient les parois.« Quand nous avons visité la chapelle, cette érosion nous a alertés et nous avons décidé d’entreprendre des travaux, explique l’édile. Nous avons remplacé l’ancienne porte qui laissait passer des courants d’air et installé un plancher pour protéger les peintures. Nous avons aussi profité de ces travaux, réalisés en interne, pour repenser l’éclairage afin de mieux mettre l’œuvre en valeur. »

Chapelle Saint-Luc de la léproserie de Gisors. © Photo Davitof, 2011, CC BY-SA 3.0
La chapelle Saint-Luc de la léproserie de Gisors.
Photo Davitof, 2011

Le site sera inauguré cet automne, vraisemblablement à la mi-octobre, dans le cadre du Festival Normandie impressionniste, afin de bénéficier de la médiatisation de cet événement phare dans la région normande. L’inauguration, et la valorisation tardive du site, veulent aussi rendre hommage à l’artiste à l’occasion du dixième anniversaire de sa disparition (en novembre 2010). La chapelle sera ensuite ouverte à la visite sur rendez-vous.

La municipalité espère faire sortir cette œuvre de la confidentialité. Outre les visites guidées, elle envisage ainsi de faire du monument un lieu culturel à part entière en tirant parti de ses volumes pour y organiser par exemple des expositions, des spectacles ou des performances. Gisors mise aussi sur ce lieu atypique et déroutant pour attirer les touristes friands d’art. « Le “Jugement dernier” de Dado est une œuvre percutante qui ne laisse pas insensible. Certes il y a des gens chez qui elle suscite un rejet assez fort, mais il y a aussi, et surtout, beaucoup de personnes qui sont complètement fascinées par cette œuvre. À commencer par les artistes, observe Franck Capron, conseiller municipal délégué chargé de la culture. Nous avons emmené des artistes venus du monde entier dans cette chapelle, notamment ceux qui participent à notre Festival international d’art marginal, et ils ont tous été très impressionnés. C’est un véritable trésor ; nous avons une chance inouïe d’avoir cela à Gisors. Et je pense que des gens peuvent venir de loin pour le découvrir. »

Pour la municipalité, la mise en valeur de cette pépite est la première étape d’une stratégie à plus long terme pour mettre en lumière les relations étroites de la cité avec d’éminents artistes. Outre Dado, Gisors a en effet eu le privilège d’accueillir Pissarro puis Picasso. Là encore cet héritage prestigieux demeure confidentiel et à valoriser.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°551 du 18 septembre 2020, avec le titre suivant : Gisors valorise enfin l’œuvre de Dado

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