Art moderne

Le Havre (76)

Et la lumière artificielle fut

MuMa, Musée d’art moderne André Malraux - Jusqu’au 1er novembre 2020

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 23 septembre 2020 - 617 mots

Coup de cœur : comment les artistes ont-ils vu l’arrivée de l’éclairage des villes et qu’est-ce que cela a changé dans l’art ? La réponse tient dans une magistrale exposition du festival Normandie impressionniste.

Il était là, planté au milieu du tableau, et on ne le voyait pas. Pourquoi l’avoir placé ici, si ce n’était pas pour le montrer ? Le réverbère est littéralement le sujet « central » de Rue de Paris, temps de pluie, célèbre toile peinte par Gustave Caillebotte en 1877, dont l’esquisse est aujourd’hui conservée au Musée Marmottant Monet. À bien y regarder, l’artiste semble même avoir été moins intéressé par le couple de bourgeois coincé en bas à droite du tableau que par Paris, ses grands boulevards, ses nouveaux immeubles haussmanniens et son mobilier urbain. À la fin du XIXe siècle, Paris se modernise. Apparu au début du siècle, l’éclairage artificiel, d’abord à l’huile puis au gaz, lentement concurrencé par l’électricité, creuse désormais les nuits. En 1876, la place de l’Opéra voit son éclairage électrifié. Plus sûre que le gaz, dit-on – qui provoque cette année-là la mort de huit personnes au théâtre de Rouen –, l’électricité apporte par ailleurs des couleurs nouvelles aux nuits parisiennes, une lumière dont la flamme, qui ne danse plus, rejette l’obscurité à la périphérie des villes. Ainsi le réverbère devient-il roi. La ville de Paris charge le photographe Charles Marville de le photographier. Des typologies apparaissent : candélabres à deux ou à cinq branches, à lanternes carrées ou rondes, candélabres de grilles à six pans, etc. Ces familles portent même des noms, modèles Oudry ou Lacarrière, qui peuplent désormais la ville. Comment les peintres auraient-ils pu les ignorer ? C’est le sujet, passionnant et inédit, de l’exposition « Nuits électriques » actuellement présentée au MuMa, au Havre, dans le cadre du festival « Normandie impressionniste » : comment les artistes ont-ils regardé l’arrivée de la lumière artificielle et quelle a été son incidence sur leurs œuvres ? La réponse tient en treize salles, près de 150 peintures et lithographies de 70 artistes, sans compter quelques extraits cinématographiques de Méliès. Elle montre notamment comment le réverbère apporte de nouveaux motifs, diurnes et nocturnes, aux artistes. Par sa forme, il est un élément structurant de la composition chez Caillebotte, quand il devient un sujet à part entière chez Marquet (Le Réverbère, Arcueil, 1899). Voilà pour le diurne. Pour le nocturne, Maxime Maufra peint en 1900 sa fascination pour Paris, « ville lumière », avec sa tour Eiffel illuminée et sa « féerie nocturne » – titre de son tableau – à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Vallotton, lui, voit l’opportunité d’exercer son merveilleux sens des contrastes, quand Bonnard et Steinlen profitent du Paris festif des cabarets pour en faire des tableaux. Toutefois, Devambez n’est pas dupe, qui rappelle que, planté au milieu des grandes artères, le réverbère permet aussi de contrôler les foules et, à la police, d’intervenir (La Charge, 1902). Toutefois, l’intérêt de l’exposition ne réside pas seulement dans ce qu’elle montre, mais aussi dans ce qu’elle ne montre pas : les impressionnistes. Étonnamment, ces derniers ont peu représenté la lumière des villes, alors que l’éclairage électrique leur avait pourtant permis de rentrer dans l’histoire en faisant de leur exposition chez Nadar, en 1874, la première à ouvrir au public en soirée. D’où leur absence si criante dans l’exposition. Monet, le premier, ne peint que très peu de nocturnes, même lorsqu’il s’arrête au Havre, un port pourtant précurseur dans l’expérimentation de l’éclairage urbain. En 1899, le peintre déclare : « J’admire beaucoup les clairs de lune et, de temps à autre, j’ai fait des études de ces sujets ; mais je n’en ai terminé aucune parce que j’avais beaucoup de mal à peindre la nature de nuit. »

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°737 du 1 octobre 2020, avec le titre suivant : Et la lumière artificielle fut

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque