Suisse - Musée

ENTRETIEN

Sami Kanaan : « À quoi sert un musée s’il est coupé de la cité ? »

Conseiller de la Ville de Genève, chargé du département de la culture

GENÈVE / SUISSE

Le conseiller culturel de la Ville de Genève fait le point sur ce serpent de mer qu’est la rénovation du Musée d’art et d’histoire. Un projet à plus de 230 millions d’euros. Il évoque également la situation du directeur du musée, Marc-Olivier Wahler. Des propos « cash » et inédits.

Sami Kanaan. © Sandra Pointet / Ville de Genève
Sami Kanaan.
© Sandra Pointet / Ville de Genève

Né en 1964, Sami Kanaan est conseiller de la Ville de Genève, chargé du département de la culture et de la transition numérique depuis 2011.

Avec l’annonce du chantier de rénovation du BAC (Bâtiment d’art contemporain), Genève miserait-elle enfin sur l’art contemporain ?

C’est paradoxal, car la scène genevoise de l’art contemporain est extrêmement riche, en matière d’artistes comme de collections et de collectionneurs. Mais le fait est que cette rénovation a pris du retard. J’espère un début de chantier en 2023-2024 et une inauguration, si tout va bien, en 2026. Mais le contexte est plus large avec la foire Art Genève et des acteurs publics dynamiques comme la HEAD (Haute École d’art et de design), le Fmac (Fonds municipal d’art contemporain) et le FCAC (Fonds cantonal d’art contemporain) ou le Mamco (Musée d’art moderne et contemporain). On a aussi réussi grâce des opérations d’art public à intéresser plus qu’un public d’initiés.

En juin 2021, les Genevois ont refusé par référendum le projet d’une « cité de la musique ». Est-il si difficile de faire accepter des grands projets culturels à Genève ?

Pas forcément. Il y a aussi des réussites – La Comédie ou le MEG [Musée d’ethnographie de Genève], refusé en 2001 avant d’être accepté [en 2010]. Pour la cité de la musique, cela a été le refus d’un projet trop ambitieux mêlé à des considérations écologiques. Un référendum en Suisse, c’est une addition de « non » qui ne sont pas forcément convergents. Mais bien sûr, c’est un échec au même titre que le Musée d’art et d’histoire (MAH) en 2016. À Genève, il y a une grande sensibilité au patrimoine bâti, ce qui peut se comprendre car, historiquement parlant, dans les années 1950 et 1960, on a beaucoup détruit. Il y a donc aujourd’hui un effet de balancier mais qui va parfois trop dans l’autre sens.

Le musée d'art et d'histoire de Genève. © Romano1246, 2011, CC BY-SA 3.0
Le musée d'art et d'histoire de Genève.
Photo Romano, 2011
Y aura-t-il un nouveau référendum concernant le projet de rénovation du MAH ?

Je ne peux pas garantir qu’il n’y ait pas de référendum… Nous avons évidemment tenu compte des leçons de l’échec précédent, en associant de manière large les parties prenantes à la démarche du projet. Il faut néanmoins comprendre que c’est un projet très complexe, car ce bâtiment, nous le préservons, nous allons le restaurer, mais fonctionnellement, c’est un bâtiment à l’ancienne, très segmenté. On travaille sur les scénarios ; l’objectif, c’est d’arriver devant le conseil municipal au printemps avec le crédit d’études afin que soit financé le concours d’architecture international qui serait lancé vers fin 2022.

Comment ce musée nouvelle formule s’intégrera-t-il dans la ville ?

Vu comme il est placé, au milieu d’un îlot, avec deux autoroutes urbaines de chaque côté, c’est une forteresse. Nous allons donc ajouter une réflexion urbanistique, que je trouve passionnante : cela commence par la question des accès, mais il y a aussi le lien avec la vieille ville et toutes ses institutions culturelles, avec la ville basse et le lac…À quoi sert un musée s’il est coupé de la cité ?

Quelles sont les estimations relativement au coût et au financement ?

Le coût [131 MCHF, 120 M€] du projet Nouvel-Gandur [pour le MAH] de 2016 était sans doute un peu sous-estimé, c’était aussi un projet beaucoup plus compact, axé sur le bâtiment de Charles-Galland et sa cour. Notre version du musée rénové est beaucoup plus large et étalée, elle intègre notamment l’ancienne école des beaux-arts. Les premières estimations brutes, mais avec une marge d’erreur encore considérable, c’est 250 millions de francs suisses (231,6 M€). C’est vrai que c’est un peu un choc ! Mais si l’on prend le coût du mètre carré, on est dans la ligne des grands projets suisses, à l’image de l’extension du musée de Zürich. Il est clair que c’est un projet qu’il faudra cofinancer : je trouverais légitime que le Canton participe à ce chantier, et il faut trouver des mécènes. Il y a une ouverture du côté des privés mais seulement si le projet est convaincant. Si on se contente de restaurer le bâtiment existant, on n’attirera pas de mécènes, donc paradoxalement, cela coûtera plus cher à la Ville de Genève pour un projet moins inspirant… et qui ne résoudrait pas les importants problèmes fonctionnels rencontrés actuellement par celles et ceux qui travaillent au sein du musée.

Revenons à la pétition lancée en août dernier contre le directeur du musée, Marc-Olivier Wahler. Comprenez-vous certaines des craintes ou les reproches des signataires ?
Marc-Olivier Wahler. © Mike Sommer
Marc-Olivier Wahler.
© Mike Sommer, 2019

Marc-Olivier Wahler a fait le choix, dès le début, de communiquer sur ce qui relève de la stratégie grand public du musée, pour le rendre plus populaire, diversifier les publics. Mais il a certainement fait, il le reconnaît lui-même, des erreurs ou des maladresses, comme sa nuit avec la momie Ramsès II – mais ce n’est qu’anecdotique. Il a sous-estimé le côté calviniste de Genève où l’on n’est pas censé se mettre en scène personnellement. Concernant le plan scientifique, il n’a pas donné l’impression d’y attacher une importance particulière, il n’a pas suffisamment communiqué là-dessus et ça lui a été reproché. Et pourtant, je pense qu’il est très actif sur ce plan, afin de dynamiser l’activité scientifique de ce musée qui en a besoin. C’est pourquoi je lui ai proposé de documenter son projet sur le plan de la conservation et de la valorisation des collections pour sortir des anathèmes superficiels. Genève est un village, haut de gamme bien sûr, mais où tout le monde se mêle de tout.

Quel est, au fond, le problème du MAH ?

Le MAH aujourd’hui est une addition de fiefs autonomes qui coexistent par domaine, les beaux-arts, l’horlogerie, etc., et qui fonctionnent comme des petits musées autonomes, avec des résultats franchement pas très convaincants. En remettant en question ce très fort cloisonnement, on soulève des tensions. Or je suis inquiet aujourd’hui pour l’avenir du musée. Ma première responsabilité, c’est vis-à-vis du contribuable : je rappelle que ce musée pèse 34 millions de francs suisses par an, ce qui en fait un des budgets les plus élevés de Suisse. On ne va pas continuer à procrastiner, donc c’est un peu du quitte ou double. J’ai besoin d’un directeur qui soit créatif et offensif.

Aujourd’hui, vous renouvelez donc votre confiance à Marc-Olivier Wahler ?

Je trouve le débat bienvenu, mais les attaques personnelles contre Marc-Olivier Wahler sont inacceptables. Comme employeur, j’ai le devoir de le défendre. On peut bien sûr discuter de ses propositions, et nous allons voir comment organiser ce débat de manière plus large sous la forme de forum, d’enquête dès cet automne, pour donner la parole aux mécontents bien sûr, mais aussi à d’autres milieux, parce qu’un musée n’appartient pas seulement aux scientifiques. L’expérimentation, personnellement je suis pour, mais, évidemment, il ne faut pas tout chambouler en permanence. Avec Marc-Olivier Wahler, ce qui est à la fois génial et parfois difficile à suivre, c’est que c’est un créatif. Je lui ai dit que parfois il faut savoir faire des arrêts sur image, sinon les gens n’arrivent pas à suivre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°575 du 15 octobre 2021, avec le titre suivant : Sami Kanaan, conseiller de la Ville de Genève, chargé du département de la culture : « À quoi sert un musée s’il est coupé de la cité ? »

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