Histoire

En Bulgarie, sur les pas des rois thraces…

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 19 mars 2015 - 1485 mots

BULGARIE

Luttant contre l’expansion immobilière et le trafic d’antiquités, l’archéologie bulgare fait remonter à la surface les trésors du peuple thrace dont une partie sera bientôt montrée au Louvre.

Les Thraces forment le peuple le plus nombreux du monde, du moins après les Indiens ; s’ils obéissaient à un seul chef et étaient animés du même esprit, ce peuple serait invincible et de beaucoup le plus puissant de tous. » C’est avec en mémoire ces mots d’Hérodote, le grand historien grec du Ve siècle avant notre ère, que nous nous embarquons pour la Bulgarie, sur les traces de ce qui subsiste de cette civilisation prestigieuse, à la lisière des mondes grec, perse, celte et macédonien. Gètes, Triballes, Besses, Odryses, Bithyniens…, force est de reconnaître que les noms des tribus de ces fiers cavaliers semblaient, il y a encore peu, nimbés d’une aura de mystère. Il aura donc fallu attendre le réveil de l’archéologie bulgare, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour mieux cerner les contours de cette identité « thrace ». Situées au cœur de la péninsule balkanique, voie de passage depuis la plus haute Antiquité entre peuples d’Orient et d’Occident, nomades et sédentaires, la Bulgarie et sa capitale, Sofia, peinent à cacher les stigmates de plusieurs décennies de communisme. Ressemblant davantage à un bunker qu’à un « palais de la culture », le Musée national d’histoire a ainsi été transféré, depuis 2000, à la maison numéro 1 de la résidence gouvernementale Boyana : soit une grise et imposante bâtisse nichée à quelques encablures du Musée d’histoire militaire…

Le Musée national d’histoire
Son directeur, le professeur Bozhidar Dimitrov, est un pilier de la recherche archéologique de son pays, un personnage incontournable pour qui souhaite, comme le Louvre, monter une exposition sur la civilisation thrace. « Au cours de ces dernières années, on a recensé sur le territoire bulgare près de 2 500 tumulus, dont 1 500 ont été étudiés par les archéologues. Parallèlement, nous pratiquons activement des fouilles de sauvetage, notamment sur le littoral de la mer Noire où se construisent à une cadence effrénée de grands hôtels. Enfin, nous luttons étroitement avec la police et les douanes contre le pillage des tombes et le trafic d’antiquités », nous dit, avec une pointe de fierté, le professeur Bozhidar Dimitrov. En ce début février hivernal, deux assistantes du directeur gantées de blanc nous dévoilent ainsi des pièces d’exception qui viennent tout juste d’être saisies pour intégrer les collections du musée : deux magnifiques vases grecs du IVe siècle avant notre ère provenant vraisemblablement de la nécropole d’Apollonia, mais aussi des verreries d’importation orientale. Exposant quelque 10 000 objets allant du néolithique à la fin du XIXe siècle, le Musée national d’histoire se veut le conservatoire de l’héritage culturel bulgare. Et l’une des conférencières de nous montrer alors de façon théâtrale « le plus vieil or du monde » provenant du site néolithique de Varna. L’orgueil national prend parfois quelque liberté avec la rigueur scientifique…

Le Musée archéologique
Autre lieu, autre ambiance. Installé dans une ancienne mosquée, le Musée archéologique de Sofia expose avec clarté et pédagogie de magnifiques ensembles provenant de chantiers de fouilles menées en Bulgarie et dans le nord de la Grèce. Milena Tonkova, la directrice du département des Antiquités thraces, souligne avec enthousiasme l’esprit de coopération régnant désormais entre archéologues bulgares, grecs, turcs et français. Parmi les joyaux de son musée (des trésors d’orfèvrerie découverts dans les tumulus thraces mêlant objets grecs, perses, scythes et même celtes d’un luxe inouï !), un portrait en bronze happe cependant tous les regards. Avec son nez busqué, ses sourcils broussailleux, sa barbe de philosophe et son regard intense, l’œuvre est d’une facture exceptionnelle. Découverte en 2004 par l’archéologue Georgi Kitov dans une tombe de la région de Stara Zagora, cette tête serait celle, en personne, du grand souverain thrace Seuthès III qui régna au IIIe siècle avant notre ère. Pour les archéologues bulgares, point de doute : la ressemblance avec son profil se détachant sur ses monnaies et la qualité des objets déposés dans la tombe (une couronne en or aussi belle que celle découverte dans la tombe de Philippe II de Macédoine, un casque et une vaisselle de banquet d’une richesse prodigieuse) parlent d’elles-mêmes…

Mais c’est en quittant la capitale pour s’enfoncer au cœur des Balkans que l’on sentira palpiter, davantage encore, l’âme héroïque des tribus thraces, le faste de leurs dynastes épris de luxe et
de cavalcades guerrières. Ponctuant la vaste plaine comme autant de mamelons, des chapelets de tumulus dévoilent ainsi aux rares touristes de sublimes architectures souterraines aux allures de cosmos en réduction. Baptisée de façon un peu pompeuse « la Vallée des Rois », la région de Kazanlak abrite, outre la capitale et la tombe de Seuthès III, l’un de ces tombeaux les plus célèbres. Découvert accidentellement en 1944, ce dernier renferme des fresques remarquables qui témoignent avec brio de l’adaptation d’un artiste grec – ou hellénisé – aux exigences raffinées d’une clientèle locale. Soit deux mondes qui se côtoient, s’observent, se combattent et s’admirent aussi…

L’exposition du Louvre

On se souvient, en 2012, de la remarquable exposition du Louvre consacrée au royaume de Macédoine, la patrie de Philippe II et d’Alexandre le Grand… Les regards se tournent, ce printemps, vers leurs turbulents voisins, ces tribus thraces évoquées de façon « exotique » par les auteurs grecs Hérodote et Thucydide. Au-delà de la propagande et des fantasmes nourris à l’égard de la patrie légendaire de Dionysos et d’Orphée, l’archéologie bulgare de ces dernières années a révélé l’existence d’une aristocratie locale, perméable aux échanges économiques et artistiques. Souhaitée par Jean-Luc Martinez, conçue par l’archéologue Alexandre Baralis et Néguine Mathieux du Musée du Louvre, l’exposition se concentre sur un moment précis : l’émergence et l’affirmation, entre les Ve et IIIe siècle avant notre ère, du puissant royaume odryse, tout entier incarné par son souverain, le roi Seuthès III.
À travers la présentation de trésors funéraires d’une vertigineuse richesse (dont la plupart découverts ces quinze dernières années), c’est toute la complexité d’un monde antique qui s’offrira au regard des visiteurs. Un monde aux frontières mobiles, entre mer Égée et mer Noire, entre puissances sédentaires et tribus nomades. Parmi les joyaux prêtés par les musées bulgares, l’on admirera le portrait du roi Seuthès III, qui compte parmi les plus belles sculptures hellénistiques en bronze conservées à ce jour.

Plovdiv et son musée archéologique
À deux heures de route de Sofia, la ville de Plovdiv séduit par son charme provincial et ses maisons de bois d’époque ottomane. Occupée dès l’époque mycénienne, elle devient une importante cité thrace fortifiée sous le nom d’Eumolpias. Conquise en 342 av. J.-C. par Philippe II de Macédoine, qui la renomme Philippopolis, elle est intégrée par la suite à l’Empire romain et devient la capitale de la province de Thrace (Thracia). Après avoir visité ses vestiges, on se précipitera au Musée archéologique pour y admirer le Trésor de Panagyurishte, du IVe siècle avant notre ère.

La tombe de Kazanlak
C’est, incontestablement, le joyau de la « Vallée des Rois » thraces. Quel individu était suffisamment riche et de haut rang pour commanditer un tombeau d’une telle splendeur ? À contempler la sophistication de l’architecture mêlant éléments thraces et grecs, il s’agit, sans aucun doute, d’un membre de l’aristocratie locale. Dues vraisemblablement à un artiste macédonien, les peintures aux coloris délicats montrent un dignitaire thrace et son épouse banquetant pour l’éternité. Dans le registre supérieur, se déploie une course de chars, s’inspirant de l’iconographie royale perse. La tombe étant fermée au public pour des raisons de conservation, on se contentera, hélas, de visiter à quelques mètres sa fidèle réplique.

La tombe de Seuthès III
Si la ville de Seuthopolis a été recouverte par les eaux depuis la construction d’un barrage en 1958, la tombe du roi Seuthès III est, quant à elle, remarquablement conservée. Après avoir emprunté un long couloir de 13 m de long, on découvre trois pièces en enfilade. Dans la première ont été exhumés les restes d’un cheval. La seconde pièce est ronde et recouverte d’une coupole. La troisième renferme un lit funéraire, taillé dans la pierre. On n’a pas, hélas, retrouvé le corps du défunt. En revanche, c’est une moisson exceptionnelle d’objets qu’a exhumée, en 2004, l’archéologue bulgare Georgi Kitov : 130 pièces d’orfèvrerie, dont un casque inscrit au nom du souverain thrace qui a permis l’identification de sa sépulture.

Nessebar, l’antique Messambria
Juchée sur une presqu’île rocheuse, la ville de Nessebar, l’antique Messambria, fut occupée par les Thraces dès le IIe millénaire avant notre ère, avant d’accueillir, au VIe siècle av. J.-C., des colons doriens venus de Mégare. Elle devint alors un important centre commercial, en concurrence directe avec Apollonia du Pont, l’autre cité grecque. Témoins de cette richesse, les tombes regorgeaient de céramiques attiques, ioniennes et mégariennes, mais aussi d’hydries en bronze, de parures et de bijoux conservés, de nos jours, dans le très beau musée archéologique.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : En Bulgarie, sur les pas des rois thraces…

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