Belgique - Archéologie

Deux siècles après la bataille, l'énigme des ossements de Waterloo

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 5 février 2023 - 683 mots

LIÈGE / BELGIQUE

Plus de 200 ans après Waterloo, des ossements de soldats morts sur le champ de bataille continuent de refaire surface, offrant une matière de travail exceptionnelle aux scientifiques et experts belges passionnés par cet épisode de l'Histoire.

Deux crânes, trois fémurs, des os coxaux - de la zone hanche/bassin - ayant vraisemblablement appartenu à quatre combattants ; « une telle quantité d'ossements c'est vraiment unique ! », s'exclame l'historien Bernard Wilkin, devant une table d'autopsie de l'Institut de médecine légale de Liège (est). Ils sont là pour subir une série d'analyses censée déterminer notamment la région d'origine des soldats.

Le défi est de taille : une demi-douzaine de nationalités européennes ont pris part à cette bataille qui a fait quelque 20 000 morts le 18 juin 1815, à 20 km au sud de Bruxelles. Il s'agit de l'une des pires confrontations armées de l'Histoire, qui a mis fin aux rêves de grand empire de Napoléon Bonaparte.

Les conditions dans lesquelles ces ossements ont été découverts sont assez cocasses. Ils n'ont pas été exhumés lors de fouilles archéologiques, comme celles qui ont permis de reconstituer un squelette humain complet, l'été dernier, non loin de l'ancien hôpital de campagne établi à l'époque par le duc de Wellington pour les Alliés opposés aux armées napoléoniennes. C'est lors d'une conférence sur Waterloo donnée fin 2022 par M. Wilkin qu'un homme a confié son secret à cet historien travaillant pour les Archives de l'Etat belge.

« J'ai des Prussiens dans mon grenier »

« Ce Monsieur d'un certain âge est venu me trouver à la fin et m'a dit "Mr Wilkin, j'ai des Prussiens dans mon grenier" », relate ce dernier en souriant. « Il m'a montré des photos sur son smartphone, m'a expliqué qu'on lui avait donné ces ossements pour qu'il les expose (...), ce qu'il avait refusé pour des raisons éthiques ». Les restes humains sont donc restés cachés. La rencontre avec un tel expert de la grande bataille aurait servi de déclic. « Il s'est dit que j'étais peut-être la bonne personne pour leur trouver une sépulture décente, les analyser, en tout cas faire quelque chose de cohérent », poursuit M. Wilkin.

Pièce maîtresse de la collection : un pied droit doté de presque toutes ses phalanges, et attribué à « un soldat prussien » par le donateur. « Voir un pied si bien conservé c'est relativement rare car généralement les petits os des extrémités disparaissent dans le sol », souligne Mathilde Daumas, anthropologue à l'Université libre de Bruxelles, qui participe aux travaux de recherche.

Quant à affirmer que ce pied est « prussien » (une ancienne région couvrant en partie le Nord de l'Allemagne actuelle), les spécialistes incitent à la prudence. Le lieu de découverte, à savoir le village de Plancenoit où les troupes prussiennes et napoléoniennes se sont âprement combattues ce jour-là, fait dire à Bernard Wilkin que ces restes pourraient tout aussi bien être français. Certes les morceaux de bottines et autre boucles d'uniformes présents dans cette collection seraient plutôt issus du camp germanique.

« Un beau message »

Mais « on sait que les soldats dépouillaient les morts pour s'équiper », poursuit l'historien liégeois, selon qui vêtements et accessoires ne sont pas forcément le bon indicateur pour déterminer la nationalité d'un squelette.

L'énigme sera peut-être résolue par le médecin légiste Philippe Boxho qui se donne deux mois pour mener à bien des analyses. Il explique que les os recèlent encore des traces d'ADN exploitables. « Tant que la matière est sèche on peut faire quelque chose, notre plus grand ennemi c'est l'humidité qui désintègre tout », relève ce Liégeois qui a 30 ans de médecine légale derrière lui. « Et avec les dents on peut doser le strontium, cet atome qui est la marque géologique de l'endroit où l'on a vécu », ajoute le Dr Boxho.

Dans « un scénario idéal », Bernard Wilkin aimerait qu'on compte des Français et des Allemands parmi ces « trois à cinq » soldats dont il subsiste des restes. Les deux pays, qui furent aussi ennemis lors des guerres mondiales du XXe siècle, pourraient ainsi être réunis un jour autour des sépultures à Lasne, la commune dont dépend Plancenoit. « J'espère que ça va aboutir, ça serait un beau message », lâche l'historien.

Par Matthieu Demeestere

Cet article a été publié par l'AFP le 3 février 2023

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