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Claude d’Anthenaise : directeur du Musée de la chasse et de la nature

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2012 - 1907 mots

PARIS

Claude d’Anthenaise, directeur du Musée de la chasse et de la nature, fait le bilan des cinq années écoulées depuis la réouverture de l’institution.

Après avoir été inspecteur des monuments historiques, puis directeur de l’Alliance française de Singapour, Claude d’Anthenaise (IEP, conservateur en chef du patrimoine) dirige depuis 1998, le Musée de la chasse et de la nature à Paris. Il en a supervisé l’agrandissement en 2007.

Jean-Christophe Castelain : Quel bilan dressez-vous cinq ans après la réouverture d’un Musée de la chasse et de la nature agrandi ?
Claude d'Anthenaise : Je suis un conservateur heureux parce que je vois le public venir ou revenir dans une institution qui était un peu désertée auparavant. Au-delà de cette satisfaction en termes de fréquentation (50 000 visiteurs en 2011) qui n’est pas négligeable, mais pas non plus essentielle, je me réjouis du changement d’image. Le musée qui avait une réputation un peu désuète a acquis une certaine crédibilité dans la scène parisienne et internationale.

J.C.C. : Pourquoi ne pas avoir profité de la réouverture du musée pour changer son nom ?
C.A. : Quand j’ai relancé le musée en 2005-2007, j’étais en effet très embarrassé par son titre; qui était dur à assumer et surtout équivoque dans la juxtaposition des deux termes, « chasse » et « nature », que certains pouvaient juger contradictoires. On peut dire qu’alors, cet énoncé n’était pas vraiment appuyé sur une doctrine clairement établie. C’était un frein pour la communication. Mais, à l’époque, le conseil d’administration de la fondation dont dépend le musée a souhaité garder ce titre par fidélité envers les fondateurs. Aujourd’hui il y aurait sûrement moins de difficultés à changer le nom du musée mais personnellement je ne le souhaite plus, parce que je pense qu’il est parvenu à s’imposer. Peut-être que la fondation qui chapote le musée, le club et le domaine de Bel-Val pourrait s’appeler différemment, ce qui serait une manière de bien distinguer les différentes branches.

J.C.C. : Une fréquentation de 50 000 visiteurs est-elle à la mesure d’un musée de votre envergure ?
C.A. : Oui, car nous atteignons notre jauge maximale. Le musée est conçu de manière très intimiste avec une succession de petits espaces et une possibilité d’« appropriation » des œuvres par le public qui ne fonctionne que s’il n’y a pas trop de monde. Par ailleurs, la muséographie intègre une sorte de jeu qui consiste à prendre le visiteur à contre-pied et à le confronter à une série de situations qui mettent en doute la nature de ce qu’il voit. C’est ce que j’appelle le « dépaysement » du visiteur. Il se demande si la pédagogie est une vraie pédagogie, si les œuvres sont de vraies œuvres. Cela n’est réalisable que dans certaines conditions de visite.

J.C.C. : Quels éléments vous permettent de déterminer que l’image du musée a changé ?
C.A. : Je mesure cela par le nombre de sollicitations. Il y a de nombreux projets de partenariat comme celui que nous avons mené l’an dernier avec le Centre des monuments nationaux et qui s’est conclu par l’exposition « Bêtes off » à la Conciergerie. En ce moment, nous sommes approchés par l’Agence régionale des espaces verts d’Île-de-France qui nous propose de constituer une antenne urbaine à des expérimentations artistiques menées en pleine nature. Désormais, on ne nous demande pas que des fusils de chasse ou des animaux naturalisés !

J.C.C. : Comment expliquer la faible fréquentation du public scolaire ?
C.A. : J’ai conscience d’un déficit de ce côté. Sans doute l’ambiguïté du positionnement du musée dans les années passées a-t-il été préjudiciable. Encore maintenant, le titre du musée reste dissuasif pour beaucoup d’enseignants qui sont très méfiants, voire hostiles à tout ce qui est lié à la chasse. Pour nous, développer ce public scolaire est une priorité. À cette fin, le service des publics a été étoffé, tant pour prospecter les écoles, développer les partenariats avec les académies, que pour concevoir des outils pédagogiques et des animations permettant d’insérer la visite du musée dans le parcours scolaire.

J.C.C. : Quel est le sens de l’introduction de l’art contemporain dans votre musée ?
C.A. : C’est une nécessité puisque, dorénavant, le but du musée est d’illustrer la problématique du positionnement de l’Homme dans la Nature. La question est particulièrement d’actualité et ce serait absurde de vouloir la traiter uniquement avec des œuvres du passé. La collection héritée des fondateurs était magnifique. Mais le XVIIIe siècle y était majoritairement représenté, le XIXe siècle un peu moins, et il n’y avait rien pour le XXe siècle. Pour nous, il ne s’agit donc pas de faire de l’art contemporain pour être à la mode : les artistes, les thèmes abordés sont à chaque fois choisis au regard de ce questionnement, qu’il s’agisse du rapport entre nature et culture, de l’animalité, de la ruralité. Quand j’ai réaménagé le musée, il fallait plutôt se mettre en quête d’artistes. Certains étaient probablement réticents à venir exposer dans un lieu qui n’était pas référencé parmi les institutions vouées à l’art contemporain. La première à avoir franchi le pas, et je lui en suis reconnaissant, c’est Gloria Friedmann avec son installation « Numéro vert » en 1999. Maintenant la tendance s’est complètement inversée. Le musée est très sollicité par les créateurs qui traitent des questions environnementales ou du rapport à l’animal, et ils sont très nombreux. Au début, l’introduction de l’art contemporain a suscité quelques remous au sein du conseil d’administration. Je pense que ce n’est plus du tout le cas maintenant.

J.C.C. : Y aurait-il un intérêt pour le musée et la Fondation à acquérir l’hôtel de Guénégaud que vous louez à la Ville de Paris ?
C.A. : Effectivement, la situation sur le plan foncier est un peu bizarre. Comme si l’on avait deux pieds (l’hôtel de Mongelas acquis en 2002 et l’hôtel de Guénégaud) qui ne seraient pas chaussés de la même pointure, ce qui, lors de la rénovation du musée a posé des problèmes assez complexes. Les discussions devraient reprendre avec la mairie pour l’acquisition de l’hôtel Guénégaud dont la fondation assure intégralement l’entretien et l’ouverture au public. Cette différence de statut entre les immeubles peut freiner notre développement en limitant les possibilités d’aménagement. Pour vous donner un exemple, la boutique fait cruellement défaut au musée. Au-delà de l’enjeu commercial, qui n’est pas fondamental, elle permettrait d’étayer notre positionnement grâce aux publications proposées aux visiteurs, à la fois sur les œuvres, sur les collections, etc. Or, son implantation nécessiterait des travaux dans les deux hôtels.

J.C.C. : Quelles sont les ressources de la Fondation ?
C.A. : Nous avons la chance de connaître des années de relative aisance grâce à l’ancien président de la Fondation, Christian de Longevialle, un ancien banquier, qui a mis toute son énergie à appliquer fidèlement le testament moral des fondateurs et à développer les moyens financiers. Maintenant nous nous orientons vers une gestion plus conservatrice de nos actifs qui fait que nous savons exactement de quoi nous disposons, si toutefois le principe de la non-fiscalisation des revenus de fondations reconnues d’utilité publique, comme c’est le cas depuis 1966 pour la Maison de la chasse et de la nature, n’est pas remis en cause.

J.C.C. : Le musée, le Club et le domaine de Bel Val – un institut de formation à la chasse et à la nature – forment les composantes de la Fondation. Cette corrélation est-elle un avantage ou un inconvénient ?
C.A. : Par certains côtés c’est un avantage. Ainsi la résidence d’artistes à Bel Val propose à de jeunes créateurs non seulement un lieu, mais un environnement en lien avec la ruralité. D’un autre côté, le club peut servir de caisse de résonnance aux activités culturelles du musée. À dire vrai, dans le passé, cela a pu être un frein parce que, à défaut de projet stratégique, chacun était un peu dans son coin, mais maintenant avec tout l’effort pour définir le plan stratégique qui précise la vision à dix ans et plus, cela va initier une dynamique favorable à tout le monde.

J.C.C. : Quel est donc ce projet stratégique ?
C.A. : Bien en amont des questions relatives à la chasse, la fondation se positionne au service d’une écologie humaniste. Selon cette conception de l’écologie, l’homme est considéré comme un composant à part entière de la Nature. Solidaire de la communauté du vivant, il y exerce ses responsabilités, ses droits et ses devoirs. Cette référence « humaniste » peut paraître accessoire. En fait, elle nous distingue de certains tenants de l’écologie qui adoptent un point de vue radicalement différent et tendent à abstraire l’homme de la nature au risque d’opposer l’un à l’autre. Leur position extrême consistant à fantasmer l’idée d’une nature sanctuarisée, ou « préservée » de toute présence humaine. Au contraire, l’écologie humaniste revendique une place centrale de l’homme dans la nature. Cela a des répercussions dans bien des domaines, qu’il s’agisse de la conception des « droits » des animaux, ou de l’engagement au service du « bien vivre » animal, notion que les écologistes humanistes préfèrent à celle du « bien-être » chère aux utilitaristes. Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier la souffrance animale. Je ne suis pas chasseur, et, à titre personnel, la défense de la chasse n’est pas une fin en soi. Mais quel que soit le goût que l’on a pour cette activité, il faut bien convenir que c’est une manière de s’insérer dans la nature, d’en être acteur à part entière. Dominique Lestel, lauréat l’an dernier du prix littéraire décerné par la Fondation, a une belle manière de définir cela. Faisant l’apologie de notre instinct de carnivore, il y voit paradoxalement le moyen d’affirmer notre intégration à la nature et de partager avec les bêtes ce qu’il appelle « le lourd fardeau de l’animalité ». C’est la même chose avec la chasse qui permet d’assumer notre instinct de prédateur. L’admettre nous dissuade d’adopter une posture de spectateur qui voudrait que nous laissions les autres composantes de la nature se débrouiller entre elles.

J.C.C. : Comment allez-vous « nourrir » le projet stratégique ?
C.A. : Nous développons toute une activité de colloques, de débats que nous allons largement ouvrir aux questions touchant le développement durable, le rapport de l’homme à l’animal, ou l’éthique environnementale. La programmation artistique, notamment à travers les expositions d’art contemporain, poursuit le même but. Pour l’avenir, je souhaite une ouverture à l’international. Ainsi, après l’exposition Marc Couturier que nous inaugurons le 22 mai, nous allons présenter des artistes étrangers. Notre projet va aussi se diffuser dans les différentes actions : le web, la revue que l’on crée, les différents partenariats. Le prix littéraire François Sommer qui existe depuis vingt ans, mais qui était assez mal défini, bénéficie dorénavant de notre projet stratégique. Plus identifiable pour les éditeurs, il devrait nous valoir des ouvrages plus ciblés et plus intéressants. Nous mettons aussi en place une opération de mécénat en collaboration avec La Demeure Historique (1). Le premier prix (doté de 15 000 euros) sera décerné cette année et concernera la restauration d’un élément du patrimoine architectural en lien avec la chasse. Après une période où il y avait des moyens financiers mais un projet imprécis, nous vivons ainsi une véritable révolution intellectuelle.
 

(1) Association qui représente les propriétaires-gestionnaires de monuments historiques classés, inscrits ou susceptibles de l’être, qu’elle accompagne et conseille pour assurer leur mission.

 

Fiche biographique

Claude d’Anthenaise

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : Claude d’Anthenaise : directeur du Musée de la chasse et de la nature

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