Italie - Patrimoine

PALAIS NÉOCLASSIQUE

Après vingt ans de travaux, le Palais royal de Venise rouvre ses portes

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2022 - 804 mots

VENISE / ITALIE

Voulu par Napoléon puis occupé par l’impératrice Sissi, ce palais abandonné pendant un siècle a bénéficié d’une longue restauration menée par le Comité français pour la sauvegarde de Venise.

Le Palais Royal de Venise est situé à l'extrémité de la place Saint-Marc, face à la basilique. © Nick Savchenko, 2016, CC BY-SA 2.0
Le Palais Royal de Venise est situé à l'extrémité de la place Saint-Marc, face à la basilique.
Photo Nick Savchenko, 2016

Venise (Italie). Il a longtemps été un joyau caché aux regards de tous, bien qu’étant sous les yeux de 30 millions de touristes arpentant chaque année les ruelles de la Sérinissime. Le Palais royal de Venise a rouvert ses portes le 15 juillet. Ce long bâtiment constitue une des ailes de la place Saint-Marc qu’a fait ériger Napoléon après avoir démoli l’église San Geminiano. Les Vénitiens se souviennent de l’empereur des Français comme du fossoyeur de leur fastueuse république en 1797, et pas comme le premier souverain d’Italie en 1805. Napoléon décide alors la construction d’un palais royal dans lequel il ne séjournera jamais, mais qu’il confie à son beau-fils Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie. Les membres de deux autres grandes dynasties européennes l’élisent par la suite comme résidence de villégiature ou d’apparat : celle des Habsbourg, avec l’impératrice Élisabeth d’Autriche, dite Sissi, qui y effectue de longs séjours pour fuir l’oppressante cour de Vienne et celle des Savoie enfin qui règnent sur la Péninsule à partir de son unification en 1860.

Le palais tombe en désuétude au XXe siècle

Le palais est démembré au début du XXe siècle et tombe dans l’oubli. Les Vénitiens fiers du glorieux passé de leur république n’ont aucune envie d’honorer la mémoire honnie de Napoléon. Pas plus qu’ils ne souhaitent entretenir celle des occupants autrichiens. La superbe enfilade de 850 m2 composée de vingt-sept salles de style néoclassique est alors abandonnée aux outrages du temps et de fonctionnaires qui l’occupent, peu sensibles à la magnificence des lieux.

Salle de bal du Palais royal de Venise. © Joan Porcel
Salle de bal du Palais royal de Venise.
© Joan Porcel

L’ironie de l’histoire veut que le palais retrouve tout son lustre grâce à un spécialiste de Napoléon : Jérôme-François Zieseniss. Ce fils d’un historien d’art américain déjà mécène du château de Versailles et d’une Française est à la tête du Comité français pour la sauvegarde de Venise depuis une vingtaine d’années. Il est à l’origine du chantier qui a duré vingt-deux ans. Son coût de sept millions d’euros a été intégralement financé grâce aux dons de mécènes, chacun d’eux ayant « adopté » une pièce, dont la restauration coûtait environ 200 000 euros. Parmi eux, l’entrepreneur Henry Hermand, la Fondation Florence Gould, Chantal et Alain Mérieux, ou encore le World Monuments Fund.

Le plus difficile n’a pas été de rassembler les fonds nécessaires, mais de « déloger cinq administrations parce que ces pièces avaient été transformées en bureaux des antennes locales du ministère de la Culture et de l’Unesco, explique Jérôme-François Zieseniss. Cela n’a pas été simple. » Tout comme le dialogue avec les vétilleuses surintendances artistiques transalpines et les autorités municipales jalouses de leurs prérogatives. Mais la passion et l’opiniâtreté du plus Vénitien des Français fou amoureux de la ville et de son patrimoine ont eu raison des obstacles. « Nous ne devons pas arriver en donneurs de leçons, mais avec un esprit de collaboration étroite pour faire avancer les choses, explique-t-il. C’est un projet de longue haleine qui a été bloqué pendant plusieurs années pour des raisons administratives. Après l’inauguration des grands appartements impériaux en 2016, il trouve enfin un formidable aboutissement. Plus qu’une campagne de restauration, ça a été une véritable réhabilitation d’un chapitre oublié de l’histoire de la cité. » Jérôme-François Zieseniss, dans un ouvrage consacré au palais et intitulé Le palais royal de Venise, le joyau caché de la place Saint-Marc (Flammarion) a relaté ces péripéties.

Décoré par des artistes et artisans vénitiens

Si les premiers occupants du palais appartenaient à des dynasties étrangères, on doit son édification et sa décoration à des artistes et des artisans locaux. En particulier le peintre et décorateur vénitien Giuseppe Borsato (1770-1849), auteur de fresques restées en majorité intactes. À partir de 1807, il coordonne sous la supervision d’Eugène de Beauharnais l’aménagement aussi bien du palais que des Procuratie Nove. Il poursuit son travail après la chute de l’Empire constituant autour de lui un cénacle d’artistes talentueux tels que Giambattista Canal, Giovanni Carlo Bevilacqua, Pietro Moro et Francesco Hayez.

Un minutieux travail d’inventaire et de recherche dans les réserves du palais ou des administrations qui l’ont occupé a été mené. Il a permis de reconstituer à l’identique les tentures des salles, fortement détériorées ou de retrouver leur mobilier d’origine. Lorsque ce n’était pas possible, des achats en ventes publiques ont permis de combler les lacunes. « Ce palais a été la victime d’une “damnatio memoriae”, constate Jérôme-François Zieseniss, comme si l’histoire s’était arrêtée à la chute de la république de Venise en 1797 pour ne reprendre son cours qu’après l’unité de l’Italie. Sa renaissance peut être celle d’un intérêt pour la vitalité et le raffinement des arts décoratifs vénitiens au XIXe siècle. C’est en tout cas le maillon qui manquait à l’histoire millénaire du génie de la Sérénissime. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Après vingt ans de travaux, le Palais royal de Venise rouvre ses portes

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