Afghanistan

Afghanistan : les talibans veillent sur le site des Bouddhas de Bâmiyân

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 8 octobre 2021 - 787 mots

BÂMIYÂN / AFGHANISTAN

A Bâmiyân, vallée mythique du centre de l'Afghanistan, des talibans montent la garde près des cavités qui abritaient les deux fameux Bouddhas géants que leurs chefs et aînés ont pulvérisé à l'explosif en 2001.

La vallée de Bâmiyân en Afghanistan. © Unesco CC BY-SA 3.0 IGO
La vallée de Bâmiyân en Afghanistan.

« Les Bouddhas ont été détruits par les autorités talibanes en 2001 » mentionne une plaque de bronze gravée, scellée dans la pierre. Le drapeau du mouvement radical sunnite est planté sur une guérite dans laquelle deux jeunes hommes armés semblent périr d'ennui, à deux mètres de là.

Selon Ali A. Olomi, historien spécialiste du Moyen-Orient à la Penn State Abington University aux États-Unis, le mollah Mohammad Hassan Akhund, nommé le mois dernier Premier ministre du gouvernement taliban, est « l'un des architectes de la destruction des Bouddhas ».

Quand on lui demande si, rétrospectivement, ce fut une bonne idée de faire sauter les statues, dans ce qui restera l'un des plus grands crimes contre le patrimoine mondial, Saifurrahman Mohammadi, jeune talib récemment nommé à la direction des Affaires culturelles de la province de Bâmiyân, cache mal son embarras. « Et bien... Je ne peux pas vraiment commenter », dit-il à l'AFP. « J'étais très jeune. S'il l'a fait, à l'époque, l'Emirat islamique devait avoir ses raisons... Mais ce qui est certain, c'est que désormais nous nous engageons à protéger le patrimoine historique de notre pays. C'est notre responsabilité ». Il s'est récemment entretenu à ce sujet, via Skype, avec des responsables de l'Unesco repliés au Pakistan et auxquels il a demandé de revenir en Afghanistan, garantissant leur sécurité.

Carrefour des civilisations

La splendide vallée de Bâmiyân, nichée à 2 500 mètres d'altitude au coeur du massif de l'Hindou Kouch, est le point le plus occidental atteint par le bouddhisme qui en avait fait un important lieu de pèlerinage. Au fil des siècles les influences indienne, perse, turque, chinoise, moghole et hellénique s'y sont croisées, formant un carrefour de civilisations unique au monde et laissant derrière elles, dans de nombreux sites dont plusieurs restent inexplorés, un extraordinaire patrimoine archéologique.

Des responsables locaux et d'anciens employés de l'Unesco à Bâmiyân, réfugiés à l'étranger ou entrés en clandestinité, ont assuré à l'AFP qu'un millier de pièces inestimables, qui étaient stockées dans trois entrepôts à Bâmiyân, ont été volées ou détruites, à la faveur de la prise de pouvoir des talibans à la mi-août, qui dans la province s'est effectuée pratiquement sans violence.

« Je confirme que des pillages ont bien eu lieu, mais c'était avant notre arrivée, à la faveur du vide qu'ont laissé les anciennes autorités en s'enfuyant », dit M. Mohammadi. « Nous menons l'enquête et tentons de les récupérer. Nous avons des plans pour cela. Et les travaux du centre culturel de l'Unesco continuent ».

En effet, des menuisiers s'affairent dans les deux bâtiments monumentaux qui surplombent Bâmiyân et sont presque terminés, ont constaté des journalistes de l'AFP. Le projet (quelque vingt millions de dollars, financés par l'Unesco et la Corée du Sud) devait être inauguré en grande pompe début octobre.

« Maintenant, il faut voir comment ça va pouvoir fonctionner », indique, depuis Bruxelles où il est replié, Philippe Delanghe, chargé du programme Culture au bureau de l'Unesco à Kaboul. « Nous avons reçu le feu vert de New York, j'envisage un retour en Afghanistan la semaine prochaine. L'administration actuelle souhaite notre retour, une collaboration. Cela semble assez sécurisé. Je vais voir comment aller à Bâmiyân le plus tôt possible », dit-il.

Jamais reconstruits

Dans leurs déclarations depuis leur prise de pouvoir, les autorités talibanes insistent sur leur volonté de protéger l'exceptionnel patrimoine archéologique du pays, en dépit du traumatisme mondial créé par les images des Bouddhas disparaissant dans le fracas et les nuages de poussière.

« Nous sentons qu'il y a chez eux une volonté de dire que les choses se passent bien et que : "le patrimoine, ça nous intéresse" », indique à l'AFP Philippe Marquis, directeur de la délégation archéologique française en Afghanistan (Dafa), actuellement en France. « Ils se sont rendus compte que les activités de protection du patrimoine, ça donne du travail et des revenus réguliers », alors que la situation économique du pays est désastreuse, ajoute-t-il. « Je pense que ce sont des gens assez pragmatiques, qui se disent : "Il faut qu'on fasse tourner notre pays. Qu'est-ce qui marche ?" ».

En attendant, des morceaux des Bouddhas, blocs de grès où subsistent par endroits les traces de coups de ciseaux à froid portés au VIe siècle, gisent sous de pauvres auvents de bois et de toiles déchirées par les vents de la vallée. Ils avaient survécu au XVIIe siècle aux assauts de l'empereur moghol Aurangzeb et au XVIIIe à ceux du roi perse Nader Shah, qui s'était contenté de les défigurer. Après des années d'atermoiements, les spécialistes mondiaux semblent être arrivés à un consensus : ils ne seront jamais reconstruits.

Par Michel Moutot

Cet article a été publié par l'AFP le 8 octobre 2021.

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