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Acquisitions des musées, décloisonner pour sécuriser

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2022 - 681 mots

Après « l’affaire » de France-Muséums, le rapport commandé par la ministre de la Culture sur les acquisitions aboutit à quarante propositions.

Rima Abdul Malak en compagnie des trois auteurs du rapport, Arnaud Oseredczuk, Christian Giacomotto et Marie-Christine Labourdette.  © MC / Mehrak Habibi
Rima Abdul Malak en compagnie des trois auteurs du rapport, Arnaud Oseredczuk, Christian Giacomotto et Marie-Christine Labourdette.
© MC / Mehrak Habibi

France. C’est en réaction aux acquisitions d’œuvres à la provenance douteuse par l’agence France-Muséums, pour le compte du Louvre Abu Dhabi, que la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a rapidement ordonné une mission sur la sécurité des acquisitions par les musées de France, en juin dernier. Au terme d’une soixantaine d’entretiens – menés auprès de tous les acteurs de ces acquisitions, du marché aux conservateurs –, Marie-Christine Labourdette, Arnaud Oseredczuk et Christian Giacomotto ont livré leurs recommandations dans le rapport publié le 21 novembre. Le compte rendu de quatre-vingts pages ne fait pas état de carences particulièrement choquantes dans le processus d’acquisition d’œuvres par les musées français. Il note, en revanche, une accumulation d’approximations, ou de petits arrangements avec les codes déontologiques et directives ministérielles qui, mis bout à bout, brossent le tableau d’une chaîne d’acquisition peu prudente.

Des commissions dociles

Différentes commissions jalonnent le processus d’acquisition d’une œuvre : réunion des conservateurs en interne, puis passage en commission de premier niveau (commissions locales, ou interétablissements), puis commissions de second niveau pour les acquisitions les plus onéreuses (Conseil artistique des musées nationaux). Le rapport note toutefois que, à chaque étape, les règles élémentaires favorisant le débat et la contradiction (renouvellement des membres, vote à bulletin secret, procès-verbal) ne sont pas respectées, faisant de ces réunions de simples chambres d’enregistrement des décisions d’un conservateur. Le rapport recommande ainsi d’éclaircir et, au besoin, de renouveler ces règles afin que ces instances retrouvent leur rôle d’évaluation de la pertinence d’une acquisition.

L’idée d’une commission ad hoc saisie par le ministère de la Culture dans les cas les plus sensibles est également présentée par les rapporteurs. L’intérêt de cette instance résiderait dans sa composition interministérielle, joignant les compétences du Service des musées de France (SMF) à celle du ministère de l’Intérieur (Office de lutte contre le trafic des biens culturels, OCBC) et du ministère des Affaires étrangères. « La mission observe que […] de multiples compétences existent au sein de l’État, notamment dans sa filière répressive et de surveillance, mais que certains cloisonnements subsistent et empêchent de les mobiliser pleinement », notent les auteurs. Ils conseillent également la création d’une « cellule provenance » au sein du SMF, guichet unique pour les interlocuteurs des ministères de la Justice, de l’Intérieur, des douanes, de l’OCBC.

Une mise à niveau est également envisagée dans la formation initiale, puis continue des professionnels, pour enseigner les enjeux particuliers de la recherche de provenance – un exercice qui « revêt une technicité particulière et exige un investissement spécifique » observent les auteurs. L’École du Louvre et l’Institut national du patrimoine, qui abordent la question par séminaires ponctuels, sont invités à l’inclure dans leur cursus régulier. Toujours dans une perspective de décloisonnement, le rapport conseille l’échange de compétences entre les acteurs de l’acquisition et ceux de la répression.

Vers plus de déontologie

Les propositions s’adressent aussi aux acteurs du marché de l’art. Livres de police non informatisés et incomplets, informations opaques sur les acquéreurs successifs d’une œuvre, etc., pour les auteurs, marchands comme experts peuvent mieux faire au niveau de la transparence. Ces derniers sont encouragés à rédiger une charte de déontologie commune, quand les commissaires-priseurs sont invités à enrichir leur propre code déontologique « d’exigences méthodologiques ».

Au-delà de cette incitation à l’autorégulation, le rapport propose également de durcir la réponse pénale, en ce qui concerne les expertises frauduleuses notamment. Ces propositions ne ménagent ni le marché de l’art, ni les agents publics, rappelés à leur devoir de signalement en cas de doutes sur une acquisition. L’enjeu est de taille, comme le rappelle l’introduction du rapport, évoquant un marché de l’art plus concurrentiel que jamais et en recomposition géographique, et l’actualité brûlante des restitutions comme celles des biens issus du pillage. « Dans d’autres États […], une acquisition malencontreuse dans un musée n’a guère d’autres conséquences que la restitution de l’œuvre par le musée de statut privé […]. En France, au contraire, c’est la réputation de l’État qui est atteinte en pareil cas », rappelle les trois rapporteurs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Acquisitions des musées, décloisonner pour sécuriser

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