Histoire

Les nouvelles orientations de l’académie de france à rome

1970, André Malraux réforme la Villa Médicis

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 882 mots

ROME / ITALIE

Gérard Holtz « quitte la France par amour ! » (1). Ainsi l’Académie de France à Rome, où son épouse a été nommée sur ordre de leur ami personnel le Premier ministre Manuel Valls, devient-elle la scène d’un vaudeville (1) au moment de fêter son 350e anniversaire.

Depuis sa nomination controversée, Muriel Mayette avait gardé le silence. Autant dire que sa conférence de rentrée, le 30 novembre, était attendue. À part la désolante escalade d’une statue antique pour les besoins d’une photo avec la promotion des pensionnaires, elle a promis de défendre les artistes femmes et dit vouloir repenser l’éclairage (le scénographe, et ancien directeur de la Villa, Richard Peduzzi, qui vient d’y travailler pendant des années, a dû apprécier). Hors la confirmation de la programmation engagée sous son prédécesseur, Éric de Chassey, la seule proposition notable consiste à supprimer l’âge limite des candidats à la résidence (aujourd’hui portée à 44 ans).

Cette disposition était un pilier de la réforme lancée par André Malraux après Mai-68. Le ministre avait ouvert une refonte de l’institution en supprimant le prix de Rome, décerné aux élèves les plus méritants, pour le remplacer par une sélection sur dossier. Posé à 29 ans en 1970, l’âge limite n’a cessé depuis d’être rehaussé. L’admission s’est élargie aux historiens de l’art, aux photographes et cinéastes, aux designers et écrivains, appelés à prendre le pas sur les peintres et sculpteurs pour lesquels l’Académie avait été configurée par Colbert.

En 1997, un colloque est revenu sur les deux siècles passés dans la Villa Médicis (2). « Tout au long de son histoire, l’Académie a connu de nombreuses crises, notaient ses organisateurs. Miroir des débats liés à l’existence d’un art officiel, elle n’a cessé de soulever des questions fondamentales sur la fonction sociale de l’art, les choix esthétiques d’une époque et le rôle des institutions artistiques. » Avec toute sa verve, Bruno Foucart y dressait un catalogue des reproches mille fois entendus, « sur la nullité des pensionnaires – ces peintres inconnus tombés au champ de l’oubli sinon de l’honneur », aussi bien que « sur l’incapacité des directeurs ». Il parlait du XIXe siècle… On pourrait ajouter la remarque d’Ingres, qui n’a jamais paru aussi actuelle : la Villa Médicis est « la seule voie économique et agréable d’aller à Rome ».

« Désacadémisation »
Personne n’a alors discuté la limite d’âge. Tous semblaient considérer que la réforme avait sans doute sauvé la Villa de la disparition. Sous l’influence de Malraux et de Balthus, qui y a posé sa marque pendant toute cette époque, elle a réussi sa « désacadémisation », pour reprendre l’expression d’Alfred Pacquement au même colloque : « La liberté de création et d’expression est la principale conquête de la suppression du prix de Rome, innovations qui mettront en relation directe la politique publique des beaux-arts avec l’art contemporain. » La Villa n’était plus la consécration d’un parcours scolaire, mais le lieu d’aventures individuelles. Cet éclatement des résidents risquerait de s’accentuer avec l’arrivée de maîtres déjà confirmés. Les annonces de la directrice ont surpris, dans la mesure où elles contredisent un plan de réformes engagé par le gouvernement, dont la conception avait été confiée à Eric de Chassey, assisté d’un comité scientifique. À côté de la poursuite de l’accueil des hôtes en résidence et d’un encadrement pédagogique renforcé, il s’est tenu au principe de la limite d’âge – comme tous les directeurs depuis trente ans. Il a aussi œuvré à la maîtrise et la transparence des recrutements : ce n’est pas le chemin que semble vouloir suivre Mme Mayette-Holtz. Elle n’a fourni aucune explication à sa volonté de supprimer la limite d’âge. Au Monde elle a même déclaré : « Il faut que les pensionnaires soient encore jeunes, qu’ils n’aient qu’une œuvre ou deux derrière eux » – comprenne qui pourra. En même temps, elle a voulu remanier le jury, tout en supprimant les disciplines de référence ainsi que les rapporteurs. Elle veut éliminer les filtres. Ces 26 spécialistes, chargés de la présélection des dossiers, en ont examiné 601 l’an dernier, dont un quart d’étrangers, pour en retenir 33. Le nombre de candidatures a doublé en cinq ans. Dans la pratique, on se demande comment la comédienne, néophyte en ces matières, va procéder, sinon par le relationnel. Le choix de son premier parrain de la promotion illustre bien cette volonté. Elle a désigné le paléontologue Yves Coppens, en foulant aux pieds les règles puisque le jury de sélection avait retenu trois autres noms. Au final, à l’ouverture du concours, le ministère a rétabli le jury initial et maintenu la limite d’âge. Il nous manque un Molière pour écrire cette comédie de mœurs.

Notes

(1) France Dimanche, 22 septembre 2015. Extraits de l’article : « C’est avec une joie immense qu’il s’apprête à vivre des moments on ne peut plus romantiques avec sa chère et tendre dans un superbe palais romain[…] Le poste qui a été proposé à sa tendre moitié est pour Gérard une merveilleuse opportunité de commencer une nouvelle vie à son côté. Avec sa belle rousse, cet ancien séducteur est en effet prêt à aller au bout du monde […] Qu’importe s’il y a des jaloux et des mécontents ».
(2) « L’Académie de France à Rome aux XIXe et XXe siècles », actes publiés par Somogy (2002).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : 1970, André Malraux réforme la Villa Médicis

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