Histoire - Jeux Olympiques

RÉTROVISION

1924, les beaux-arts aux Jeux Olympiques

Par Isabelle Manca-Kunert · Le Journal des Arts

Le 19 avril 2024 - 854 mots

De 1912 à 1948, les épreuves des JO se doublaient de compétitions artistiques, en peinture, sculpture, littérature, architecture et musique.

Constantin Dimitriadis, Discobole, 1924, copie de la statue lauréate située place Irodou Attikou à Athènes. © Chabe01, 2022, CC BY-SA 4
Constantin Dimitriadis, Discobole, 1924, copie de la statue lauréate située place Irodou Attikou à Athènes.
© Chabe, 2022

Lorsque le Comité international olympique (CIO) a annoncé la liste des épreuves de « Paris 2024 », on a beaucoup glosé sur la présence du breakdance à cette grand-messe sportive. Pourtant l’organisation d’épreuves artistiques n’est pas une nouveauté ; ce serait même plutôt un retour aux sources. On l’a totalement oublié, mais il y a un siècle de nombreux artistes s’étaient en effet affrontés pour tenter de décrocher une médaille. C’est d’ailleurs Pierre de Coubertin [à l’époque président du CIO] qui s’est personnellement investi pour que la compétition intègre des disciplines aussi inattendues que la littérature, la peinture, la sculpture, l’architecture et la musique. Le réformateur des Jeux entendait ainsi retrouver l’idéal antique « mens sana in corpore sano » (« un esprit sain dans un corps sain »), en faisant cohabiter harmonieusement arts et sports. Le baron mène un intense lobbying en faveur de son « pentathlon des Muses » et fait adopter le principe en 1906 par le CIO. Le fiasco des Jeux de 1908 annulés à la dernière minute par Rome, que Londres remplace au pied levé, empêche toutefois leur tenue. Quatre ans plus tard, ce sont les Suédois qui inaugurent les compétitions artistiques lors des Jeux de Stockholm. Le lancement est presque confidentiel puisque seulement 35 athlètes y participent. C’est toutefois une consécration pour Coubertin, à double titre car non seulement il voit son projet se concrétiser, mais il décroche une médaille en catamini ! « Ode au sport », un poème bilingue français-allemand prétendument écrit à quatre mains par Georges Hohrod et Martin Eschbach, doubles fictifs du baron, gagne en effet l’or dans la catégorie littérature.

Paris capitale des arts

L’élan naissant de cette première compétition est freiné par les difficultés d’organisation, au sortir de la guerre, des Jeux olympiques de 1920, qui se tiennent a minima. Il en va tout autrement des JO de Paris en 1924 où près de 200 artistes rivalisent dans cette compétition, dont trois Soviétiques alors même que l’URSS boycotte officiellement les Jeux ! Cette olympiade culturelle fait rêver car la ville qui se revendique comme la capitale des arts a mis le paquet pour que les concours soient un succès ; les jurés, castés pour l’occasion, sont des pointures, à l’image de Paul Claudel et de Fernand Léger. La présence d’artistes d’avant-garde a d’ailleurs de quoi surprendre au vu du palmarès et de la tonalité générale des participations, qui se rangent de manière presque exclusive sous la bannière académique. Il faut dire qu’avant d’être autorisés à concourir les participants doivent déjà passer sous les fourches caudines des comités nationaux qui écrèment drastiquement, et orientent le style vers le classicisme. Le Grec Constantin Dimitriadis remporte ainsi l’or avec sa sculpture de Lanceur de disque [voir ill.] excessivement viril, tout en muscles. Il devance le fils de Paul Gauguin, Jean-René, qui concourt sous pavillon danois. La France brille davantage en littérature où Géo-Charles prend la première place avec sa pièce de théâtre sobrement intitulée Les Jeux olympiques, mêlant danse, poésie et musique.

Jean Jacoby, Corner - Football, l'une des trois Etudes de sport qui lui valurent la médaille d'or aux Jeux Olympiques de 1924. © Olympic Museum Lausanne
Jean Jacoby, Corner - Football, l'une des trois études de sport qui lui valurent la médaille d'or aux Jeux Olympiques de 1924.
© Olympic Museum Lausanne

Le trio de tête de la section peinture réunit quant à lui des artistes aujourd’hui oubliés, à commencer par le Luxembourgeois Jean Jacoby, qui s’adjuge la médaille la plus convoitée avec ses Trois études sportives [voir ill]. L’artiste devient un habitué des Jeux puisqu’il remporte la même récompense à l’Olympiade suivante avec Rugby. Un doublé qui fait de lui l’artiste le plus titré. Certains compétiteurs ont moins de chance car le jury peut décider de ne pas attribuer de médaille s’il juge le niveau insuffisant, ou ne parvient pas à trancher. Ainsi, Stravinsky, Ravel, Fauré et Bartok ne parvenant pas à un consensus, personne ne sera récompensé dans la catégorie musique. La médaille d’or d’architecture n’est pas non plus décernée, contrairement au bronze et à l’argent. C’est d’ailleurs un duo atypique qui monte sur la deuxième marche du podium pour son Plan de stade nautique : les Hongrois Alfred Hajos et Deszo Lauber. Ces derniers sont en effet des sportifs accomplis, respectivement nageur et joueur de tennis. Fait rarissime, Hajos a même reçu la médaille d’or en natation aux premiers JO modernes organisés à Athènes en 1896. On ne lui connaît qu’un autre confrère au parcours similaire : l’Américain Walter Winans, champion olympique de tir en 1908 et médaille d’or de sculpture quatre ans plus tard.

La France ne se distingue pas à Paris, mais elle se rattrape durant l’olympiade suivante à Amsterdam, quand Paul Landowski reçoit l’or pour son Boxeur. Ces JO constituent d’ailleurs le meilleur cru puisque plus de mille œuvres sont en compétition. Ce triomphe marque cependant le début de la fin puisque, après l’édition de 1928, les concours perdent leur aura, entachés notamment pas l’olympiade berlinoise contestée de 1936 et le sacre des artistes allemands aux douze médailles. Cette surreprésentation dans un contexte des plus troublés politiquement pointe la question du jugement et de la subjectivité d’un tel concours et donc de sa pertinence. Ces critiques lui seront fatales puisque les dernières épreuves ont lieu en 1948 ; elles ont depuis été remplacées par des événements culturels non compétitifs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : 1924, les beaux-arts aux Jeux Olympiques

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