Histoire - Jeux Olympiques

Comment les Jeux olympiques ont été réinventés

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 26 mars 2024 - 1312 mots

C’est un écrivain qui milita pour la tenue des premières olympiades modernes à Athènes, en 1896. Et la fameuse épreuve du marathon fut inventée de toutes pièces par un linguiste parisien féru de textes antiques !

« Plus vite, plus haut, plus fort ». Tout le monde connaît la fameuse devise des Jeux olympiques, lancée par le baron Pierre de Coubertin (1863-1937). Ainsi que les symboliques anneaux multicolores et la flamme ravivée tous les quatre ans. Les JO sont en effet l’événement sportif le plus suivi au monde, populaire sous toutes les latitudes et retransmis à travers la planète. Paradoxalement, l’histoire des olympiades demeure, elle, relativement peu connue : sa genèse est pourtant passionnante et convoque des acteurs pour le moins inattendus.La renaissance de ces mythiques épreuves sportives est le fruit de l’engagement d’une poignée d’érudits et d’artistes français et grecs. L’écrivain Dimitrios Vikelas, premier président du Comité olympique, a par exemple été un acteur décisif pour que la première édition moderne se déroule à Athènes en 1896. Et non à Paris en 1900, en même temps que l’Exposition universelle, comme le souhaitait Coubertin. Tandis que Michel Bréal (1832-1915), professeur à l’École pratique des hautes études et linguiste, a tout simplement inventé une des disciplines les plus célèbres des olympiades. Discipline que tout le monde pense, à tort, antique. Le marathon, course indissociable des JO, a en effet été imaginé par cet immense philologue pas sportif pour deux sous, dans son petit bureau parisien.Ce fin connaisseur de la Grèce n’y a même jamais mis un pied, mais il était l’un des meilleurs experts de son histoire. Plongé toute la journée dans les textes grecs, il a créé cette course en s’inspirant des récits de l’historien antique Hérodote racontant la bataille de Marathon, remportée par les Grecs sur les Perses en 490. Le soldat chargé d’annoncer la victoire aux Athéniens avait dû courir pendant plus de quarante kilomètres ; un effort tel qu’il est mort d’épuisement en arrivant à destination après avoir annoncé l’heureuse nouvelle. En transformant cette histoire guerrière et tragique en épreuve sportive, le savant souhaitait envoyer un message pacifiste. Il fit également réaliser, à ses frais, par un orfèvre parisien, une coupe en argent destinée à récompenser le vainqueur.

la dimension politique

Le tout jeune État grec, qui venait de proclamer son indépendance et de se libérer du joug ottoman, vit quant à lui dans cette course l’occasion de prouver de façon symbolique la puissance de l’Occident contre l’Orient. La résurrection des JO revêt un fort enjeu politique dès l’origine, tant pour les Grecs que pour les Français. S’il y avait déjà eu des tentatives pour relancer les ­olympiades, notamment dans le sillage de la Révolution française puis dans le courant du XIXe siècle en Angleterre, en Grèce et même aux États-Unis, c’est véritablement le contexte fin-de-siècle qui va permettre de concrétiser le projet. Après la guerre franco-prussienne, qui avait frappé les esprits, il y avait une envie forte de prêcher le pacifisme international. Le sport apparaît alors comme l’activité d’émulation idéale. Les fondateurs voyaient aussi dans les JO un moyen de promouvoir les principes démocratiques dans le monde, en référence au modèle de la cité athénienne.La dimension politique des jeux est aussi l’une des clefs pour comprendre l’implication de la France dans cette aventure. « Il y avait une véritable rivalité entre les Allemands et les Français notamment sur le terrain de l’archéologie », résume Violaine Jeammet, conservatrice générale au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Musée du Louvre. « Relancer les Jeux, c’est une manière de revendiquer un leadership sur l’archéologie. D’ailleurs une des raisons pour lesquelles ils ont lieu à Athènes et non à Olympie c’est parce que les fouilles d’Olympie avaient été menées par les Allemands ». Afin d’accentuer la mainmise des Français et la force du milieu intellectuel philhellène parisien, le Congrès olympique fondateur est ainsi organisé à l’université de la Sorbonne, en 1894, par l’Union des sociétés françaises des sports athlétiques créée quelques années avant.

Le rôle central de l’archéologie

Art et archéologie ont joué un rôle fondamental dans la rénovation des olympiades. On l’ignore mais les Jeux ont eu leur artiste officiel, Émile Gilliéron (1850-1924). L’étude de son fonds d’atelier par l’archéologue Christina Mitsopoulou a permis de remettre sous les projecteurs cet artiste méconnu dont le rôle est pourtant crucial. Son fonds d’atelier, récemment donné par ses descendants à l’École française d’Athènes, comprend en effet un ensemble de documents relatant son statut d’artiste officiel des Jeux olympiques d’Athènes. « Dessinateur d’origine suisse, Gilliéron s’est formé aux Beaux-Arts de Paris et a assidûment fréquenté le Louvre où il a copié des modèles antiques », explique Violaine Jeammet, co-commissaire de l’exposition. « Il est ensuite parti en Grèce où il est devenu le dessinateur du roi et a couvert toutes les grandes fouilles organisées dans le pays à la fin du XIXe siècle : Olympie, Delphes, Mycènes, ou encore Knossos. Il a dessiné les objets qui sortaient de ces fouilles et s’en est par la suite inspiré pour créer l’iconographie de l’olympisme moderne ».Cette iconographie se diffusa par de nombreux canaux, notamment les affiches et les timbres. Outre la communication, il est aussi chargé du design des récompenses remises aux vainqueurs. Car les trophées, là encore des objets emblématiques des JO, sont eux aussi une invention moderne. Dans l’Antiquité, les athlètes recevaient uniquement des couronnes d’olivier et exceptionnellement, dans le cadre des Jeux panathénaïques à Athènes, de précieux vases remplis d’huile sacrée. Le trophée correspond en réalité à une vision moderne, tout comme la notion de performance physique. L’athlète antique ne concourait pas pour être plus performant que ses adversaires mais pour s’attirer les bonnes grâces de la divinité sous l’égide de laquelle se tenaient les épreuves. Pour inventer les trophées modernes, le dessinateur s’inspire toutefois des vases antiques qu’il a documentés sur le terrain lors des fouilles.Si certaines épreuves nouvelles font leur apparition, nombre de disciplines tentent en revanche de ressusciter des pratiques antiques en s’appuyant sur des textes et des témoignages archéologiques. L’intense travail mené par les archéologues dans la seconde moitié du XIXe siècle, notamment par Edmond Pottier (1855-1934), a permis de mieux comprendre les épreuves d’origine. Le conservateur au Musée du Louvre a en effet réalisé un catalogue des vases grecs qui a constitué une base de données fondamentale : elle a notamment fait ressurgir des disciplines oubliées, telles que le lancer de javelot et de disque, deux sports dont la pratique s’était totalement perdue. L’étude de l’iconographie et de pièces archéologiques telles que le Discobole ou les reliefs découverts à Athènes permettent de retrouver les mouvements des athlètes antiques. Outre l’archéologie expérimentale, les sportifs vont aussi pouvoir s’appuyer sur une technologie alors de pointe : l’image animée. Étienne-Jules Marey et Georges Demenÿ mettent la chronophotographie au service des athlètes, afin de décomposer leurs mouvements et de les aider à retrouver les gestes de leurs illustres ancêtres.

Les jeux du Louvre 
 

Parmi la constellation d’événements organisés à l’occasion des JO de Paris, le Louvre propose une exposition inédite. Le musée explore l’histoire méconnue des olympiades et dévoile les sources iconographiques ainsi que les objets d’art suscités par la recréation des Jeux. La fameuse Coupe Bréal, inventée pour récompenser le vainqueur du marathon, sera ainsi montrée pour la première fois à Paris. Le parcours présente également les trophées dessinés par l’artiste Émile Gilliéron, ainsi que les éléments de communication qu’il a inventés en tant que dessinateur officiel des JO en 1896. Ces pièces sont confrontées aux sources antiques utilisées par l’artiste pour revivifier cet imaginaire sportif en restant au plus proche de la vérité historique. Le visiteur pourra ainsi admirer des vases peints ainsi que des reliefs représentant les activités athlétiques. Mais aussi des œuvres du XIXe siècle montrant le regain d’intérêt pour les corps sportifs idéalisés dans la peinture académique.

 

« L’Olympisme. Une invention moderne, un héritage antique »,

Musée du Louvre, Paris-1er, du 24 avril au 16 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°774 du 1 avril 2024, avec le titre suivant : Comment les Jeux olympiques ont été réinventés

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