Roulés, roulette

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 18 novembre 2016 - 720 mots

Roulés - « Jean-Bernard Bonnot est un Parisien au chômage, qui vit d’expédients, et donne quelques cours de philosophie. La trentaine, marié, un enfant, il écrit un livre sur Drouot. Un jour, il fait la connaissance de Marlene, une Américaine fortunée qui va l’introduire dans le monde opaque des marchands de tableaux. Giordano, un Italien, lui explique combien sont ambiguës les attributions et très approximatives les expertises. Il lui révèle surtout comment fabriquer de faux tableaux anciens… » Ces lignes composent le pitch de Faussaire, un roman de Jean-François Ferrillon paru en 2015 [L’Âge d’homme, 312 p., 22 €] ; une fiction, donc, qui n’aurait rien à voir avec la réalité, si celles-ci ne s’étaient croisées en 2016. Car ce livre annonce étrangement l’affaire des faux tableaux présumés qui ébranle le monde de l’art depuis quelques mois, et que rappelle l’enquête que nous consacrons ce mois-ci au sujet. Retour aux faits : en mars 2016, la justice saisit une Vénus attribuée à Cranach l’Ancien, que le prince de Liechtenstein avait acquise pour un montant de 7 millions d’euros. Très vite, d’autres tableaux intéressent les enquêteurs, dont un Portrait d’homme et un David contemplant la tête de Goliath, attribués à Frans Hals et à Orazio Gentileschi. Tous sont passés par des galeries et maisons de ventes réputées, et par les musées occidentaux les plus sérieux, qui n’y ont vu que du feu. Pour Vincent Noce du Journal des Arts, interviewé en octobre sur France Culture : « Ce qui serait extraordinaire, s’il s’avérait que cette série de tableaux était une contrefaçon moderne, ce serait de trouver un peintre capable de faire des Brueghel, des Velázquez, des Hals, des Greco, qui sont quand même des techniques et des styles très différents ! Si jamais l’enquête aboutissait à révéler l’existence d’un tel artiste, ce serait sans doute l’un des faussaires les plus brillants qui ait jamais existé. » Extraordinaire, en effet, comme cette autre affaire en cours de faux mobiliers XVIIIe présumés attribués à François Ier Foliot, Louis Delanois ou Jean-Baptiste Boulard, qui ont roulé même les meilleurs spécialistes de la période. Les deux affaires n’ont a priori rien en commun. Rien, sauf l’habileté des faussaires à produire d’excellentes contrefaçons. Et dire que certains pensent que les artistes, aujourd’hui, ne savent plus fabriquer un meuble ni même peindre un tableau !

Roulette - Outre d’entacher durablement le marché de l’art, ces affaires soulignent les faiblesses de l’expertise. Car, si le propre du faussaire est de perfectionner ses techniques pour déjouer les analyses, l’œil des spécialistes, les études scientifiques et les commissions d’experts ne garantissent pas d’être infaillible. « L’expertise, faut dire, tient un peu de la roulette », fanfaronne le narrateur de Faussaire. Comme, du reste, la stratégie des éditions du Seuil, qui ont dévoilé, en novembre, dans plusieurs pays simultanément, soixante-cinq dessins de Van Gogh retrouvés dans un livre de comptes (un « brouillard ») du Café de la gare à Arles [Le Brouillard d’Arles, Carnet retrouvé, Seuil, 288 p., 69 €]. Après trois ans d’une étude réalisée dans le plus grand secret par l’historienne de l’art Bogomila Welsh-Ovcharov, le Seuil et Franck Baille, expert en art et « découvreur » dudit carnet, attribuent donc avec certitude les dessins à Vincent Van Gogh. « C’est sans doute la plus grande découverte depuis le Codex de Léonard de Vinci », se félicite Franck Baille, « la découverte la plus révolutionnaire de toute l’histoire de l’œuvre de Van Gogh », ajoute Ronald Pickvance, spécialiste américain du peintre. Avis que ne partage pas le Musée Van Gogh d’Amsterdam pour qui « ces dessins sont des imitations » : ils sont « monotones, maladroits et sans esprit », juge le musée trouble-fête. Voilà qui est envoyé, de la part d’une institution qui n’a pas été associée à la découverte et qui contredit aujourd’hui l’expertise. Commence alors une de ces querelles d’experts dont raffole l’art, de celle qui divise actuellement les spécialistes du Caravage au sujet de l’attribution d’un Judith et Holopherne découvert « par hasard » dans un grenier à Toulouse. Car la roulette en vaut la chandelle : le Caravage serait estimé à 120 millions d’euros ; quant aux soixante-cinq dessins de Van Gogh, ils pourraient, selon Le Figaro, qui a fait le calcul, avoisiner les 350 millions d’euros. L’art, une affaire d’argent ? Jamais !

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°696 du 1 décembre 2016, avec le titre suivant : Roulés, roulette

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