Renaissance, renaître, renouveler

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 18 septembre 2013 - 683 mots

Renaissance. C’est le mot choisi par Martine Aubry pour appeler de ses vœux l’émergence d’un monde nouveau. Dans sa tribune publiée dans Le Monde, la maire de Lille prône une renaissance de l’industrie, des services publics et de l’Europe, et confie à la culture le soin « d’inspirer cette renaissance ». « Il n’est pas pour moi, dit-elle, de grand projet politique sans ambition culturelle. » Au moment où le budget global de la culture baisse pour la deuxième année consécutive, il s’agit bien entendu d’un avertissement lancé au chef de l’État et à sa ministre de la Culture, après que de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer leur attentisme et leur manque d’ambition – le Filippetti bashing d’avant l’été est encore frais dans les mémoires. Renaître, donc. C’est bien l’intention d’Aurélie Filippetti qui, dans le long entretien qu’elle accorde ce mois-ci à L’Œil, entend une bonne fois pour toutes convaincre de son engagement. « J’ai une grande ambition culturelle qui est justement celle de l’éducation artistique », se défend la ministre, qui attend également beaucoup de son projet de loi sur le patrimoine pour imprimer définitivement sa marque. Interrogée sur la sortie de Martine Aubry, elle dit se féliciter qu’une telle place soit accordée à la culture. « Mon seul point de désaccord, ajoute la ministre, est lorsqu’elle oppose le Moyen Âge à la Renaissance. Le Moyen Âge, on le sait aujourd’hui, n’a pas été une période de néant culturel mais, au contraire, d’une très grande fécondité. » Ainsi répond le berger à la bergère.

Renaître, c’est aussi ce que nous sommes en droit d’attendre de l’œuvre de Picasso. Quarante ans après sa mort en 1973, en dépit d’une notoriété sans équivalent dans le monde, celui qui a eu « comme Louis XIV, un des plus longs règnes de l’histoire », écrivait André Chastel, demeure toujours nimbé d’une épaisse couche de légendes, sinon d’anecdotes qui nous éloignent chaque jour un peu plus de lui. La faute, en France, aux musées qui n’ont pas su déceler avant son décès son importance dans l’histoire de l’art ; à l’État aussi, qui a fait surveiller dès 1901 le peintre pour « anarchisme » et lui a refusé la nationalité française ; aux historiens et aux critiques, qui ont écarté des pans entiers de sa production pour ne se consacrer qu’aux mêmes périodes, dont le cubisme ; aux héritiers également, qui n’ont pas toujours su créer des conditions favorables à une nouvelle analyse de l’œuvre ; aux médias enfin, qui répètent les mêmes poncifs sur les femmes et l’argent. Tous, nous avons notre part de responsabilité sur ce que certains spécialistes, interrogés dans la longue enquête que vous lirez dans ce numéro, appellent avec excès : « le désert Picasso ». « Je crois que l’on n’aime pas Picasso, ou alors pour de mauvaises raisons », confie même l’un d’eux. Bien sûr, il n’est pas question de dire que rien n’a été fait sur Picasso, sa vie, son œuvre. Ni même que l’artiste serait détesté. Qui le croirait quand « Picasso et les maîtres » enregistrait en 2008-2009 plus de 753 000 visiteurs à Paris ? Mais il s’agit de comprendre que l’héritage que Picasso a légué à l’histoire de l’art, « le plus titanesque depuis Michel-Ange », mériterait aujourd’hui qu’on le regarde. Autrement.

Renouveler les regards en se réinventant sans cesse, c’est bien l’ambition jamais trahie de L’Œil depuis sa création en janvier 1955. Ce mois-ci, vous découvrez ainsi un nouveau logo, une nouvelle couverture et une maquette plus élégante. De nouvelles rubriques font également leur apparition, comme le grand Portrait d’artiste qui ouvre désormais, sur plusieurs pages, votre magazine. Nous avons rencontré Pierre Huyghe ; le mois prochain, ce sera Georg Baselitz. Mais si L’Œil bouge dans sa forme et dans son fond pour accompagner un monde de l’art qui n’a jamais été aussi large et complexe qu’aujourd’hui, son aspiration, elle, demeure inchangée. L’Œil, « tant par sa présentation que par sa qualité », sera le magazine « de l’amateur d’art de ce temps », prophétisaient ses fondateurs. Ce vœu, nous le faisons toujours nôtre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Renaissance, renaître, renouveler

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