Régénérescence / Dégénérescence

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 3 janvier 2023 - 833 mots

Régénérescence - Au terme « renaissance », la nouvelle directrice du Magasin de Grenoble préfère celui de « régénérescence ». Le mot, qui apparaît dans la puissante installation You Have Any Peace for Me ? C.R.Y. (2022) de Rebecca Bellantoni, présentée dans l’exposition inaugurale du centre d’art (« La position de l’amour », jusqu’au 12 mars 2023), n’a pas été choisi au hasard. Il signifie que Céline Kopp, arrivée à Grenoble en janvier 2022, souhaite rebâtir le Magasin après plusieurs traumas successifs. Centre d’art pilote des années Lang, ouvert en 1986 après deux années de préfiguration, le Magasin était fermé depuis 2020 à la suite d’une série de crises entre les précédentes directions, les équipes du lieu et les tutelles. Mais de ces épisodes, la directrice ne dira rien. Le passé appartient au passé. « Régénérescence », donc ! Autrement dit, poser « les premières petites pierres du futur du lieu ». Car le Magasin, centre d’art dont le rayonnement a été international, doit se réinventer. S’il a rouvert ses portes en novembre, sa directrice se veut pragmatique, « promettant de ne pas faire de promesses ». « Je suis venue avec un projet, mais un projet, ce n’est que du papier. Moi, je souhaite l’intégrer à la réalité », explique-t-elle. Et la réalité est complexe. Certes, il y a eu les crises, mais il y a eu aussi deux années de Covid et de fermeture, et des équipes mises au chômage technique dans un monde qui change : l’inclusion, le genre ou la diversité sont des sujets qui se sont invités dans les centres d’art, dans leur programmation comme dans leur gestion. Le format exposition lui-même a évolué, pour laisser place à des « médiations », tandis que les artistes cherchent leur nouvelle place dans la société. Quant aux usages culturels, ils se sont renouvelés, au même titre que les pratiques artistiques : il faut donc (re)connecter le public aux centres d’art, et ces derniers à leur territoire. « Nous nous posons la question d’inventer, poursuit Céline Kopp : comment doit-on travailler aujourd’hui avec le public et les artistes ? » Mais inventer quoi ? Le Magasin de Grenoble n’a pas de réponse toute prête, juste des pistes, et notamment celle de replacer les artistes à tous les étages de la fusée : dans les expositions bien sûr, mais aussi dans le programme de résidences et de masterclass tournées vers l’extérieur et les publics (les écoles, les festivals, les quartiers, etc.), dans les ateliers de pratique artistique, comme dans la requalification d’espaces intérieurs plus conviviaux. « Il faut que les artistes viennent avec leurs “super-pouvoirs” pour redonner de la joie, poursuit la directrice. On doit aussi avoir envie de venir au Magasin en famille, pour s’asseoir, discuter, pratiquer… » Bref, pour se régénérer.

Dégénérescence - Tout le monde ne peut malheureusement pas en dire autant, à commencer par les écoles d’art publiques en France, dont un certain nombre sont en « danger », pour reprendre la formule qui circule sur les réseaux sociaux. Depuis 2010, la grande majorité des écoles territoriales ont été constituées en établissements publics de coopération culturelle (EPCC), statut qui a certes rendu les établissements autonomes, afin de s’inscrire dans le système européen de l’enseignement supérieur, mais qui a modifié leurs relations avec les collectivités qui les financent, majoritairement les municipalités et les métropoles. Tandis que ces collectivités sont financièrement de plus en plus contraintes, les écoles d’art ont vu, ces dernières années, leurs dépenses augmenter : nouvelles obligations de l’enseignement supérieur nécessitant l’embauche de nouveaux personnels (l’ouverture vers l’international, par exemple) ; revalorisation du point d’indice de la fonction publique de 3,5 % en 2022 ; hausse du coût des matières premières, des énergies, etc. Or, en l’absence de clause de revoyure dans les statuts des EPCC, nombre d’écoles d’art se trouvent aujourd’hui dans l’incapacité de rediscuter leur budget en conséquence avec leurs financeurs. Résultat, des postes d’enseignants, de personnels administratifs et de techniciens sont un peu partout menacés, comme à l’École européenne supérieure de l’image de Poitiers et d’Angoulême (EESI), qui a pris la tête de la mobilisation #ecolesdartendanger fin novembre. La situation est pire encore pour l’École supérieure d’art et de design de Valenciennes, menacée de fermeture, où les étudiants ont été invités à venir avec leur couverture pour pallier l’absence de chauffage. Lors du séminaire d’automne de l’Andéa (Association nationale des écoles supérieures d’art et design), la rumeur parlait d’une dizaine d’établissements menacés sur les 58 écoles d’art publiques sous tutelle du ministère de la Culture. Pourtant, écrivent les étudiants de l’EESI dans un communiqué, « l’argent est là. Seulement, il n’est pas distribué à la culture. » Tandis que les collectivités territoriales concernées et le ministère de la Culture se renvoient la balle, la question qui se pose est de taille : quel modèle d’enseignement souhaitons-nous en France, public ou seulement privé ? Sans compter que « les écoles d’art sont les premiers employeurs des artistes en France », rappelle Estelle Pagès, directrice de l’École des beaux-arts de Lyon. Car fragiliser les écoles d’art revient aussi à fragiliser l’écosystème tout entier, des artistes au public, en passant par les centres d’art, même ceux fraîchement régénérés.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : Régénérescence Dégénérescence

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