Musée

Panique au musée

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 28 juin 2022 - 716 mots

Panique Au Musée - Cela pourrait être le titre de la comédie américaine de l’été. C’est, hélas, le sentiment qui gagne les musées et les départements d’antiquités depuis qu’un ancien président-directeur du Louvre, ancien responsable des antiquités, a été mis en examen pour « blanchiment par falsification mensongère et complicité d’escroquerie en bande organisée ». La justice le suspecte d’avoir fait preuve de négligence lors de l’achat en 2016, par le Louvre Abu Dhabi, d’une stèle exceptionnelle qui s’est révélée avoir été pillée en Égypte : la stèle en granit dite de Toutankhamon (vers 1327 avant notre ère). Il n’est pas le seul spécialiste dans le collimateur de la justice, en France comme aux États-Unis où l’affaire a éclaté. En 2019, le Metropolitan Museum de New York avait déjà dû restituer le sarcophage de Nedjemankh acquis auprès d’un marchand parisien, lui aussi volé quelques années plus tôt sur le sol égyptien. C’est ainsi que les enquêteurs ont tiré le fil d’une affaire d’ampleur internationale probablement inédite. Le trafic des biens archéologiques n’est pas seulement une plaie pour l’Égypte mais pour tous les pays déstabilisés par la guerre, le terrorisme ou les soulèvements, comme la Libye, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan ou le Yémen. On sait combien il est difficile pour un musée ou un particulier, même de bonne foi, de résister à la tentation d’un marché des antiquités fortement concurrentiel et de refuser une pièce exceptionnelle qui, de toute façon, ira dans un autre musée ou chez un autre collectionneur. Il faut bien admettre, par ailleurs, que les trafiquants sont doués pour tromper les acquéreurs, même les plus aguerris. Dans une tribune du Monde, Pascal Darcque pense qu’« il n’y a pas d’autre solution que d’instaurer un cordon sanitaire étanche entre les “marchandises” proposées, issues d’activités illégales, et les potentiels acheteurs institutionnels, ainsi qu’avec le monde de la recherche. Aucun musée, de statut national ou régional, ne devrait plus avoir le droit d’acheter dans une vente aux enchères, chez un “antiquaire” ou chez qui que ce soit le moindre objet, même si les certificats présentés apparaissent crédibles », écrit l’archéologue, directeur de recherche au CNRS. Ancien membre de l’École française d’Athènes, Grand Prix d’archéologie de la Fondation Simone et Cino Del Duca en 2020, Pascal Darcque n’est pas un “amateur”. Il sait de quoi il parle. Selon lui, « chaque fois qu’un objet ancien, quelle que soit son origine géographique, passe par une salle des ventes ou atterrit dans la vitrine d’un antiquaire, on peut être quasiment certain qu’il provient d’un pillage, d’une fouille illégale. » L’idée d’instaurer un cordon sanitaire étanche est belle, mais si les musées peuvent s’entendre à l’échelle de la France, voire de l’Europe, le peuvent-ils au niveau international ? Pas sûr. Et s’ils le pouvaient, cela mettrait-il fin au marché parallèle des antiquités qui repose sur des collectionneurs privés moins scrupuleux que les musées ? Encore moins sûr…

Il faut pourtant agir. Souvent comparé aux trafics d’armes et de drogue, le trafic de biens d’antiquité finance le terrorisme et le crime organisé. Il porte en outre une atteinte irrémédiable aux archives du sol. Sortis de leur environnement, les objets archéologiques deviennent muets pour l’histoire. « Pour un archéologue, les objets sont des mots et les contextes sont des phrases. C’est la conjonction des deux qui forme l’histoire d’un site. En ayant présent à l’esprit cela, on comprend combien est grave pour la recherche leur séparation brutale », écrit Xavier Delestre dans son enquête Pillages archéologiques, les “orphelins de l’histoire”, publiée en 2021. Xavier Delestre sait, lui aussi, de quoi il parle. Conservateur régional de l’archéologie pour la direction régionale des affaires culturelles de la région Paca, il n’a pas à lutter contre des réseaux de pilleurs internationaux mais contre les pillages quotidiens commis par les utilisateurs d’un détecteur de métaux et les pêcheurs à l’aimant. Pour la seule Paca, les enquêtes ne comptabilisent pas moins de mille utilisateurs réguliers d’un détecteur de métaux agissant seuls ou en groupe. Le patrimoine et l’histoire de l’humanité sont en danger, pas seulement en Égypte, en Syrie ou en Ukraine, mais aussi en France et partout dans le monde. Il convient d’en prendre conscience et de sensibiliser le plus largement possible les musées, le marché (antiquaires, maisons de ventes, experts, collectionneurs…), les spécialistes (professionnels ou amateurs), et nous autres, lecteurs passionnés d’art et de son histoire.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°756 du 1 juillet 2022, avec le titre suivant : Panique au musée

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