Noir, E Surréaliste

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 12 mai 2020 - 711 mots

Noir, E -  Qui marque ou manifeste le pessimisme, le malheur ou le funeste : 2020 restera dans les mémoires du monde de l’art comme une année noire.

Qui aurait prédit que la culture serait, en Europe et dans le monde, totalement paralysée ; que les musées, les centres d’art, les cinémas et les théâtres seraient fermés, les foires et les festivals annulés, les galeries d’art interdites d’accès et les artistes, peintres, photographes, musiciens et acteurs, claquemurés ? La situation que le monde de l’art traverse aujourd’hui est inédite, surréaliste même, dans sa capacité à dépasser l’imagination. Mi-mars, en quelques heures, tout s’est brutalement arrêté, d’abord un temps ; puis, ce qui semblait n’être qu’une parenthèse a fini par durer et par chambouler nos vies. « Rien ne sera plus jamais comme avant », entend-on à longueur de journée à propos de la santé, des relations entre les hommes, mais aussi de la culture. Mais qu’est-ce qui pourrait bien changer ?

Pour commencer, les moyens accordés à la culture : il est acquis que la facture laissée par le Covid-19 sera élevée, et nul ne voit comment, dans les mois et les années à venir, les établissements et les projets culturels pourraient passer entre les mailles des restrictions budgétaires.

Ensuite, la fréquentation : les plus de 80 millions de touristes étrangers qui visitent chaque année la France, ses musées et ses monuments, vont mettre du temps à revenir. Parallèlement, le public des amateurs d’art et de patrimoine, comme celui des scolaires, verra ses conditions de visite changer (sur réservation, par petits groupes…). Pour combien de temps ? Nul ne sait le dire aujourd’hui.

Enfin, les expositions : le report et l’annulation d’une partie des affiches du printemps et de l’été engendre un véritable casse-tête dans la programmation des institutions pour les douze prochains mois, ainsi qu’un ralentissement de l’activité.

Surréaliste -  Qui dépasse le réel, l’entendement. Se dit d’une situation démesurée, impensable : La pandémie de Covid-19 a plongé le monde dans une conjoncture surréaliste qui a mis le monde de l’art à l’arrêt : les artistes, les musées, les galeries…

Mais la crise liée au Covid-19 en révèle en vérité une autre, plus ancienne : la course aux grandes expositions et aux records de fréquentation qui s’est accélérée ces vingt dernières années, déséquilibrant davantage l’offre culturelle des grandes capitales et celle des villes qui ne peuvent pas s’inscrire dans les circuits des prêts internationaux. En vérité, cette crise est identifiée depuis longtemps par les acteurs des musées. En France, nombre de conservateurs et de directeurs appellent, depuis plusieurs années, à un retour au local, à un retour aux collections permanentes parfois oubliées, sinon délaissées, par un système exclusivement tourné vers l’événementiel. De fait, combien vont encore au musée pour prendre le temps d’admirer un tableau ou de visiter une seule et unique salle ? Des expériences sont menées en ce sens à Rouen, Lille, Rennes, Grenoble, Orléans et ailleurs, afin de redynamiser les collections et de redonner du sens à l’institution. Les grands musées parisiens l’ont d’ailleurs compris, qui jouent aujourd’hui sur les deux tableaux à la fois, en s’inscrivant dans le programme des grandes expositions internationales tout en cherchant à améliorer l’accueil des visiteurs et en étant solidaires des musées en France. Voilà pourquoi, sans nier les années noires qui vont s’abattre sur la culture, cette crise peut être une opportunité de repenser notre relation aux musées, à l’histoire de l’art et aux artistes ; une relation plus responsable et solidaire, plus individuelle aussi, fondée sur l’expérience et la connaissance, où des expositions plus longues et parfois plus exigeantes s’appuieraient davantage sur la richesse des collections françaises et les artistes travaillant en France. Pour Walter Benjamin, il faut « fonder le concept de progrès sur l’idée de la catastrophe. Que “les choses continuent comme avant”, poursuit le philosophe, voilà la catastrophe. »

Le numéro double mai-juin que vous tenez entre vos mains a été réalisé pendant le confinement. S’il n’a pas été le plus simple à concevoir ni à vous faire parvenir, nous l’avons fait avec une énergie et une passion inaltérées. Je remercie toutes les équipes qui, de la conception à la diffusion, y ont participé, et vous donne d’ores et déjà rendez-vous cet été pour un nouveau numéro plein d’art pur. Portez-vous bien.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : Noir, E Surréaliste

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