Musée

Musées : de l’écrin au lieu de vie

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2025 - 616 mots

« Le musée a été conçu dans les années 1980 comme un écrin et non comme un lieu de vie. » Ainsi, Cécile Debray justifie-t-elle les futurs travaux au Musée national Picasso-Paris.

Ceux-ci, estimés à 50 M€, s’ajoutent à ceux achevés, il y a dix ans seulement, qui avaient coûté 54 M€ après avoir été évalués à 23 M€. Il ne s’agit pas cette fois d’un triplement de l’espace des collections permanentes ou de mettre aux normes un bâtiment historique. Ce chantier supplémentaire est mené au nom de ce que doit être dorénavant un musée,« un lieu de vie » comme l’énonce celle qui préside l’établissement depuis 2021. Un exemple de l’évolution en un demi-siècle du discours des responsables français sur leurs musées.

203 peintures, 158 sculptures, 3 000 dessins, 88 céramiques... telle est la dation Picasso (1979), fruit du dispositif permettant à des héritiers d’acquitter leurs droits de succession en remettant des œuvres à l’État. Durant sa préparation, il est décidé de ne pas disperser ce « miracle » mais de donner à voir, dans un lieu unique, la variété des techniques pratiquées par Picasso. Exaucer ainsi son célèbre mot : « Donnez-moi un musée et je le remplirai. » Et en 1974, le secrétaire d’État à la Culture, Michel Guy, en accord avec les héritiers Picasso, fait le choix d’un « écrin », d’une cassette conservant des objets précieux à l’abri des intrus. Plutôt que de construire un bâtiment servant au mieux la présentation de la variété de cet ensemble, avec des volumes adaptés, des éclairages spécifiques, l’aménagement d’un parcours fluide pour le public, le choix se porte sur un hôtel particulier du Marais, datant du XVIIe siècle : l’hôtel Salé, appelé ainsi parce qu’il appartenait à un bourgeois enrichi en collectant l’impôt sur le sel. Un escalier d’honneur fastueux mais suivi d’une enfilade de pièces exiguës, d’une circulation quasi labyrinthique. La présentation des œuvres comme le confort du visiteur passaient au second plan. Un curieux argument justifiait cet « écrin » : prouver que l’œuvre de Picasso pouvait aussi bien se déployer dans un lieu patrimonial que dans une architecture contemporaine. Nous étions à l’époque de la construction du Centre Pompidou dont le Musée national d’art moderne allait y raccrocher ses Picasso dans une « architecture monstrueuse, une raffinerie » détestée par beaucoup et surtout par le président récemment élu, Valéry Giscard d’Estaing. Un temps aussi où l’art était réservé avant tout à ceux dignes de l’apprécier, la démocratisation culturelle n’était pas affichée comme une priorité, le tourisme de masse ne connaissait pas encore sa croissance exponentielle.

Dix ans plus tard, sous François Mitterrand, les conceptions évoluent. Mais, relevons que l’objectif premier de la transformation de l’écrin – au sens large – du Louvre n’était pas d’améliorer la visite de l’amateur, mais d’en faire le plus grand musée au monde. Si le public avait été une priorité, l’entrée unique sous une pyramide n’aurait pas été privilégiée au prix de la fermeture d’autres ouvertures, que l’on va rouvrir dans les années à venir. « Louvre – Nouvelle Renaissance » marque une rupture en étant un projet actant, lui aussi, que l’établissement doit être « un lieu de vie ». « Picasso 2030 » va, lui, créer un grand jardin où seront exposées des sculptures de l’artiste, en accès libre pour mieux encore insérer le musée dans le quartier, donner au public l’envie d’y entrer ou d’y revenir. D’autres transformations sont annoncées, comme une nouvelle aile – nécessaire – pour les expositions temporaires. Le programme respire bien sûr l’air du temps. D’aucuns protesteront, soulignant que la mission première est la conservation des collections – mais ceci n’est pas incompatible – et que l’art est relégué au profit du divertissement. Affaire d’équilibre. Attendons les réalisations d’une nouvelle génération de conservateurs qui s’affranchit de ses prédécesseurs.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°664 du 31 octobre 2025, avec le titre suivant : Musées : de l’écrin au lieu de vie

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