Commande publique - Société

Mondes Nouveaux / Nouveau Monde

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 23 mai 2023 - 841 mots

Mondes Nouveaux -  Au printemps 2020, en pleine pandémie de Covid, le président de la République promettait aux artistes un grand programme de commandes artistiques, destiné à soutenir les créateurs fragilisés par la crise sanitaire. Inscrit dans le plan France Relance, ce programme « d’un nouveau genre » était lancé un an plus tard. Son nom : Mondes nouveaux. Un projet ambitieux et, annonçait-on, « novateur », qui promettait de rompre avec le « monde d’avant ». Outre le fait, assumé, que ce programme s’inspire du New Deal imaginé par Roosevelt après la crise de 1929 aux États-Unis, ce programme n’a en réalité rien de neuf. Il s’appelle, en France, la commande publique. Héritière des commandes royales, la commande publique est encadrée depuis 1951 par un décret sur « l’obligation de décoration des constructions publiques », un dispositif unique au monde initié dans les années 1930 par le Front populaire, plus connu aujourd’hui sous le nom de « 1 % artistique ». Depuis sa mise en place, celui-ci a permis de réaliser plus de 12 400 projets et de soutenir plus de 4 000 artistes. L’État connaît bien ce dispositif, y ayant pris sa part à hauteur de 25 % des opérations réalisées – les 75 % restants relevant des collectivités territoriales. En France, nous devons à la commande publique artistique des réalisations d’ampleur, à l’instar du plafond de l’Opéra Garnier de Chagall (1964) ou de l’aménagement de la cour d’honneur du Palais-Royal par Buren (Les Deux Plateaux, 1985), mais aussi des réalisations plus discrètes, à l’image de la décoration de la vaisselle de cantine d’un collège de Loire-Atlantique par Didier Trenet (Sous la purée, le dessin, 2015). Mondes nouveaux n’aurait-il donc de nouveau que le nom ? C’est le reproche que l’on peut formuler à cette initiative venue d’un président passé maître dans l’art de faire du neuf avec de l’ancien. Mais, si ce programme n’a rien d’original, l’enveloppe qui lui est allouée, elle, est en revanche inédite : 30 millions d’euros destinés à accompagner la réalisation de 264 projets sur tout le territoire. Une enveloppe qui devrait être bientôt complétée par 30 millions d’euros supplémentaires. Une bonne nouvelle, donc, à condition que ces Mondes nouveaux ne se substituent pas à la commande publique, mais la complètent. Cela s’appellerait autrement de la communication, un art dans lequel, là aussi, Emmanuel Macron est passé Maître.

Nouveau Monde - Le gouvernement a-t-il vraiment pris la mesure du changement ? Pour ce faire, il devrait écouter les artistes, à commencer par les artistes en devenir. Les étudiants en écoles d’art sont vent debout. Remontés contre la réforme des retraites, le 49.3, la privatisation de l’éducation et le démantèlement du modèle social français, ils ne demandent en vérité pas autre chose qu’un monde meilleur : un monde plus horizontal, plus participatif, plus égalitaire, plus inclusif, plus écologique… Bref, un nouveau monde. « Jamais un président n’avait cristallisé autant de rejet qu’Emmanuel Macron », remarque le directeur d’une des nombreuses écoles d’art en grève, qui voit dans le mouvement actuel un équivalent de Mai 68. Inscrite en lettres capitales sur la façade d’une école, la banderole « Nos futurs » symbolise à elle seule la nature des revendications. Or, ce sont bien ces futurs possibles que nous proposent nombre d’artistes retenus dans le cadre du programme Mondes nouveaux. Fini l’époque des démonstrations grandiloquentes, des « colonnes » de Buren ; le temps est aux préoccupations actuelles : au recyclage, à l’identité, à la guérison, comme à la nécessité d’inventer de nouvelles manières de faire, de penser et de vivre ensemble. Sabine Mirlesse veut nous sensibiliser au dérèglement climatique lorsqu’elle installe sept structures de métal au sommet du puy de Dôme, qui, soumises aux aléas du climat, forment de sublimes sculptures éphémères de givre (Les Portes de givre). Isabelle Daëron souhaite nous alerter sur la fragilité des ressources lorsqu’elle conçoit des objets et imagine des récits autour de l’eau menacée, en Bretagne, par l’agriculture intensive, les rejets industriels, etc. Parle-t-on toujours d’art ? Sans aucun doute, mais d’un art engagé créé par des artistes qui nous montrent la voie d’un monde nouveau.

L’émotion me gagne au moment de conclure cet éditorial, le dernier d’une longue série. Après dix-sept années passées à la rédaction en chef de L’Œil, je rejoins en effet les médiathèques de Maisons-Alfort, dans le Val-de-Marne, dont je prends la direction. Que vais-je regretter le plus ? La joie de mettre, chaque mois, ma passion au service de l’art et des artistes ? L’enthousiasme d’une équipe, curieuse et dévouée, autour d’un titre qui, depuis sa création en 1955, a toujours eu à cœur de diffuser très largement la culture ? La liberté et l’amitié que m’a accordées mon éditeur, Jean-Christophe Castelain ? La confiance que vous, lecteurs, m’avez témoignée ? Tout cela à la fois. Mais il est temps pour moi de me retrousser les manches, de m’engager autrement. De prendre part, sur un territoire que je connais bien, à la réalisation de ce « monde nouveau ». À Aude-Claire de Parcevaux, qui me succède, je souhaite beaucoup de succès et autant de bonheur que j’en ai eu à diriger le plus beau des titres d’art : L’Œil.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Mondes Nouveaux / Nouveau Monde

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