Michel Villedo et Cie, expertise et entreprise dans la généralité de Paris

Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2016 - 809 mots

Michel Villedo, né vers 1598 dans la Creuse et mort en 1667 à Paris, est peut-être plus célèbre dans son pays natal que dans sa ville d’adoption.

Il a pourtant été de ceux qui ont transformé le visage de l’Île-de-France et de sa capitale, des années d’enfance du Grand Siècle à son plein épanouissement, aux côtés des plus grands architectes de son époque, François Mansart, Louis Le Vau, Antoine Le Pautre, et d’ingénieurs de toutes spécialités, les familles Francine, Petit, Du Ry. Pendant plus de trente ans, Michel Villedo a régné en alternance avec ses trois fils à la tête de la Chambre des bâtiments du roi, juridiction chargée de maintenir les privilèges de la corporation des maîtres maçons, garants de l’art de bien bâtir. Derrière cet itinéraire singulier, entouré de légende, se précise l’identité de l’entrepreneur au XVIIe siècle.

« Courage, enfans, j’ai été pauvre comme vous, devenez riche comme moi (1). »

Né de parents inconnus, Michel Villedo fonde son foyer à Paris, lorsqu’il épouse en 1621 Marguerite Hanicle, fille d’artisans picards, tailleurs de pierre et serruriers, précieux associés de toute entreprise de construction. Sur les treize enfants qu’ils ont ensemble, sept atteignent l’âge adulte, dont trois fils : Michel le jeune, François et Guillaume, qui œuvrent sur le chantier de Versailles après la mort de leur père. Leur nom était déjà suffisamment célèbre pour que Louis Le Vau puisse écrire à Colbert en 1663 que les Villedo n’étaient « pas des entrepreneurs du commun (2) ». Expertises des greffiers des bâtiments et autres actes notariés présentent Michel Villedo tour à tour comme maçon, maître maçon (1629), juré (1632), général des œuvres de maçonnerie des bâtiments du roi, ponts et chaussées de France (1636). Mais c’est la distinction de conseiller et secrétaire du roi, maison et couronne de France et de ses finances (1666), que ce « noble homme » retient pour son épitaphe (3).

À l’image du petit maçon de la Creuse, monté faire fortune à Paris, répond celle d’un individu intègre, réputé pour son honnêteté et une certaine sobriété dans le mode de vie et dans la manière de bâtir. S’il ne s’est jamais prévalu lui-même du titre d’architecte, Michel Villedo a été rapidement assimilé à cette élite de la construction (4). C’est un hommage peut-être plus lucide que lui rend Germain Brice, consacrant toute une notice de sa Description de la Ville de Paris (5) au « dessein utile de Villedo », « fameux entrepreneur de bâtiments », référence à l’engagement de Michel Villedo de 1635 à 1658 dans un utopique projet de canal navigable autour de Paris.

De l’oral à l’écrit, du secret à l’explicite

Dans la bibliothèque familiale, un mystérieux « livre d’architecture et desseings dessignés de la main [du] sieur Villedo père en l’année 1615 et l’année 1616 », des gravures de vues de villes, plusieurs livres d’architecture dont le Secret d’architecture de Mathurin Jousse, mémento de stéréotomie à destination des jeunes artisans, nous font entrer dans les coulisses de la formation de l’entrepreneur. Lui qui pouvait mettre en œuvre le dessein de l’architecte justement parce qu’il savait lui-même tracer des plans d’ensemble et des profils de détail, a-il renoncé à une œuvre individuelle, absorbé dans des entreprises passionnantes mais risquées, ou dans la quête des honneurs d’une carrière publique ? De ses premiers pas à l’âge de 30 ans au château de Basville en Essonne, tout de brique et pierre (1628), jusqu’à la reconstruction de l’église Saint-Germain l’Auxerrois de Pantin (1663), en passant par les églises de la Visitation (1632-1637), la façade de l’église Sainte-Élisabeth dans le Marais (1643), le château de Vaux-le-Vicomte (1656), Michel Villedo élabore ses propres dessins, prodigue dans ses devis des recettes de maçon expérimenté, mène à bien les chantiers souvent abandonnés par des architectes artistes.

En l’absence de portrait peint, l’écriture vibrante d’énergie de Michel Villedo et son orthographe incertaine, aux accents occitans, lui donnent une nouvelle vie. Quelques croquis anonymes ou mal attribués ont ainsi pu lui être redonnés, par comparaison d’écriture et rapprochement de faits et de date.

Ces premières explorations et la lecture des sources à la lumière des conclusions récentes de la recherche historique ont redonné chair au nom de Villedo et à son œuvre, permettant d’esquisser une analyse plus objective du statut juridique, social et culturel de l’entrepreneur en bâtiment, expert et gardien de son métier.

Viviane Fritz
 
Notes

(1) Bonaventure d’Argonne, Mélanges d’histoire et de littérature recueillis par M. de Vigneul-Marville, 1699, p. 10.
(2) Lettre de Louis Le Vau à Jean-Baptiste Colbert (1663), citée par Alexandre Cojannot, Louis Le Vau et les nouvelles ambitions de l’architecture française (1612-1654), 2012, p. 34.
(3) À l’église Saint-Paul, détruite à la Révolution de 1789.
(4) Bonaventure d’Argonne, op. cit., Michel de Marolles, Livre des peintres et graveurs, [av. 1672].
(5) Germain Brice, Description de la Ville de Paris (1684 à 1752, éd. 1725).

Légende photo

Le château de Vaux-le-Vicomte, construit par Michel Villedo, sur les plans de Louis Le Vau. © Photo : Jérôme Galichon.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Michel Villedo et Cie, expertise et entreprise dans la généralité de Paris

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