Les gants de Françoise Pétrovitch

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 10 octobre 2013 - 674 mots

« J’aime avoir toujours des gants à portée de main ! », déclare Françoise Pétrovitch. Il ne s’agit pas seulement de jouer avec les mots.

L’artiste éprouve une réelle fascination pour cet objet de fantasme à la plasticité étonnante : « Un gant recouvre une partie du corps telle une deuxième peau ; et, en même temps, c’est une forme molle. L’expression “Cela vous va comme un gant” induit du sur-mesure, alors même qu’il s’agit d’un objet flasque. Un paradoxe intéressant qui me donne envie de peindre, tous les dix ans, cet accessoire vestimentaire. J’en ai fait l’élément récurrent d’une de mes dernières séries de peintures. » Un ensemble de toiles qui mettent en valeur des gants qui parfois occupent, seuls, toute la composition. Ainsi mis en exergue par Pétrovitch, ils deviennent des signes plastiques travaillés en transparence, détourés ou fondus dans la couleur. Mais ils introduisent, également, l’idée de perte  et de disparition, une donnée qui traverse son œuvre.  Pour preuve, les aquarelles qu’elle expose actuellement à Bordeaux, à l’Institut culturel Bernard Magrez, et qui jouent de cette dualité de la vie et de la mort habitant un même corps. Elle précise : « Un gant marque à la fois une présence et une absence. On a toujours peur de perdre un gant,  car c’est perdre un peu de soi-même. Hélas, cela arrive trop souvent, c’est de l’ordre de la fatalité ! » Pétrovitch a l’œil et repère dans la rue ces gants orphelins, tombés d’une poche ou d’un sac : « Ils n’intéressent personne, car un gant seul ne sert plus à rien. Il est passé à trépas ! » Une image qui vient de loin et qui la renvoie aux rudes hivers de Savoie,  la région où elle a grandi : « Toute gosse, je portais de grosses moufles qui m’handicapaient dans mes gestes et me rendaient maladroite. Elles étaient attachées aux manches de mon manteau et me donnaient l’impression d’avoir quatre mains, dont deux déjà mortes ! » Françoise Pétrovitch s’achète régulièrement des gants, pour le plaisir, pour l’esthétique, par utilité : « J’en possède en velours violet qui changent d’éclat selon la lumière. D’autres en cuir épais tout terrain ou d’autres, au contraire, noirs, très fins, qui épousent vraiment la main, en soulignent les courbes et donnent une élégance particulière à chaque geste. C’est ceux que je préfère. » Elle se souvient avoir longuement observé, un jour, dans le métro, une femme qui tenait très fort serrée contre elle, comme un trésor, une jolie paire de gants. Le cadeau de son amoureux ? Pour Pétrovitch, c’est un objet particulièrement sensuel : « J’en ai possédé une paire en peau dont l’intérieur, très doux, était doublé de satin rose. Moi seule le savais. Évidemment, j’ai fini par en perdre un. J’essaie, en vain, de retrouver les mêmes. » Mettre les gants de quelqu’un d’autre lui paraît impossible. Trop intime ? Un souvenir tenace nourrit sa passion : « Quand j’étais étudiante, je ne me lassais pas d’aller voir, au Louvre, L’Homme au gant de Titien (1520). L’artiste italien a représenté un jeune notable de 16 ans, vêtu d’une chemise blanche à jabot et d’un manteau noir. Il a la main gauche gantée de clair et qui tient l’autre gant qu’il a ôté. On voit ainsi deux états du même objet. » Autre particularité du tableau, selon Pétrovitch : « Cet élément souligne la haute position sociale du sujet et trahit son sens de la représentation. Cette peinture se distingue des autres portraits du peintre par ce détail. » Elle l’a maintes fois remarqué : « Les gants mettent une distance entre soi  et les autres. C’est un peu désuet. Presque d’un autre temps. Et, parce qu’ils cachent les mains, ils les rendent plus visibles encore. » Un objet qui évoque, suggère, oblitère  et révèle à la fois, voilà une parfaite métaphore de l’œuvre d’une artiste qui propose toujours plusieurs lectures  et de multiples entrées. 

Exposition personnelle à la Galerie Antoine Laurentin

rue Ernest-Allard 43, Bruxelles (Belgique), jusqu’au 29 novembre 2013, www.galerie-laurentin.com

« Échos »

Institut culturel Bernard Magrez, château Labottière, 16, rue de Tivoli, Bordeaux (33), commissaire : Ashok Adicéam, jusqu’au 26 janvier 2014,www.institut-bernard-magrez.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°662 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Les gants de Françoise Pétrovitch

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque