Art contemporain

Les cales de porte de… Stéphane Thidet

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 29 octobre 2019 - 602 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... les cales de porte de Stéphane Thidet

Fétiche -  Une froide poésie teintée de mystère traverse ses œuvres. C’est encore le cas à la Biennale de Lyon, où il présente Le Silence d’une dune, une installation constituée d’une grande bande de terre recouverte de chaux blanche et marquée d’un cercle noir dessiné par les roues d’une moto, ici à l’arrêt. Paysage lunaire sans âme qui vive. Empreinte fragile inscrite dans le sable, esquissée spontanément, sans trop réfléchir, comme le signe d’un désœuvrement, du temps qui passe et de l’impression de tourner en rond ? Une plage ouverte à diverses interprétations… Comme à son habitude, Stéphane Thidet frappe les esprits avec des propositions visuelles fortes. On se souvient de la maison qu’il avait présentée au Printemps de septembre à Toulouse, dans laquelle la pluie tombait abondamment alors, qu’à l’extérieur, tout était sec. Même impression d’inversion des logiques lorsque, invité par Aline Vidal à « transformer » un des fauteuils d’orchestre de la salle de spectacle parisienne La Scala, il avait fixé sur son dossier, côté assise, les mots « Tes yeux », écrits avec un néon brillant dans l’obscurité, détournant ainsi le regard de la scène. Et avec Les pierres qui pleurent actuellement visible au domaine de Chaumont-sur-Loire, l’artiste défie les lois de la pesanteur pour mieux nous émouvoir. On n’est donc pas étonné lorsqu’il nous déclare ne pas être matérialiste et avoir d’abord longtemps cherché un objet fétiche. « Et puis, dit-il, l’idée a surgi. Sans vouloir faire une collection, je récupère les cales qui servent à tenir une porte ouverte, pas celles qui sont sophistiquées et “designées”, non, les cales basiques qui portent les traces du temps, qui ont été bricolées dans un simple morceau de bois pris dans une chute d’atelier. » On ouvre grand les yeux et on marque son étonnement devant ce choix pour un élément qui paraît dénué de qualités autres que fonctionnelles : « Détrompez-vous, rétorque Thidet, la taille, la texture et la couleur du bois, les dimensions, sont des éléments qui soulignent les différences entre deux cales. J’aime cet objet à la forme simple, angulaire, véritable sculpture minimaliste. » Il en possède un certain nombre. Mis bout à bout, « cet ensemble raconte des instants de ma vie, des visites dans des musées, des usines, des immeubles, des ateliers ou des restaurants. Pour moi, ce sont des repères comme les cailloux du Petit Poucet ! » Allons bon, l’énigme de cet attachement pour les cales de portes s’épaissit. La suite nous sidère : « En plus, je les vole ! » lance l’artiste, content de son effet. Vous les volez ?! : « Oui et non, car quand j’en chipe une, je la remplace immédiatement par une autre de ma fabrication. Dans la mesure où cet objet, quasi invisible, sert à tenir une porte ouverte, l’échange doit être discret et rapide ! C’est pourquoi j’ai toujours sur moi une ou deux cales de rechange. Il m’est arrivé d’oublier cette réserve de secours, comme au Bauhaus Institut à Berlin, où j’ai dû convaincre le directeur de substituer la cale désirée par une cale design en vente dans sa boutique. Et ça a marché ! » On reste tout de même interloqué devant tant d’amour pour la cale de porte, d’autant qu’elle a inspiré à Thidet une série de photographies intitulée Les Formes du passage, exposée, l’an dernier, chez Laurence Bernard, à Genève. Au fond, grâce à cet élément, il n’y a plus ni dedans, ni dehors : la voie est libre ! Et c’est ce qui semble fasciner inconsciemment Thidet, ennemi farouche des frontières réelles, mentales ou imaginaires.

« Biennale de Lyon. Futur, ancien, fugitif »,
du 16 octobre 2019 au 5 janvier 2020. Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson, Paris-16e. De 12 h à minuit tous les jours sauf le mardi. Tarifs : 12 et 9 €. Commissaires : Franck Balland, Daria de Beauvais, Adélaïde Blanc et Claire Moulène. www. palaisdetokyo.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°728 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Les cales de porte de… Stéphane Thidet

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