Éditorial

Le tournant moralisateur dans l’art

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2019 - 390 mots

Critique. De plus en plus de voix (1) pointent ce que la philosophe Carole Talon-Hugon nomme dans un récent livre (L’art sous contrôle, éd. PUF) : « le tournant moralisateur dans l’art contemporain ».

Elle prend pour exemple les sculptures en marbre représentant des corps de migrants réalisées par Maurizio Cattelan ou Naming the Money, l’installation de Lubaina Himid qui fait référence à l’esclavage. Corrélativement, la critique morale monte elle aussi en puissance, à l’instar des multiples censures frappant les tableaux de Balthus ou du retrait des salles des collections permanentes d’un musée de Manchester de Hylas et les nymphes (1896), peint par John W. Waterhouse, au motif qu’il présenterait une vision dégradante de la femme.

Jusqu’à quel point cette tendance marque-t-elle un retour à l’ancien régime ?, s’interroge la professeur de philosophie. Elle rappelle en effet avec pertinence que l’art du XXe siècle, au nom de l’autonomisation de l’art, soit s’est éloigné de la morale soit la transgresse, rompant avec une longue tradition qui assignait à l’art des visées éthiques – que l’on songe au néoclassicisme d’un David. Sur cet aspect, l’auteur conclut que la tendance actuelle s’éloigne de l’art ancien en ce sens qu’hier les aspirations étaient générales alors qu’aujourd’hui les causes sont particulières : LGBT, féminisme, post-colonialisme, écologie et drame des migrants. Ces deux dernières causes ne sont pas vraiment particulières, mais qu’importe.

La philosophe pointe par ailleurs – pour sans doute le déplorer en creux – un déplacement du rôle des critiques : ceux-ci ne jugeraient plus les œuvres mais se contenteraient de les expliquer. Ce n’est pas faux. Est-ce une fatalité ? Les critiques d’art n’hésitent pas à parler de « croûte » pour une peinture du dimanche, pourquoi ne peuvent-il pas s’engager face à une installation d’art contemporain ? On connaît les réticences : peur de se tromper, empire du discours moralisateur porté par l’œuvre, complaisance. Et il est plus facile de discourir sur les intentions que sur l’expression plastique, qui est pourtant l’essence même d’une œuvre. Paradoxalement ce n’est pas rendre service à l’art que de succomber à ses faiblesses de critique. Outre que les lecteurs n’y trouvent pas leur compte (tout ne se vaut pas), car ils attendent un jugement esthétique pour se faire leur propre opinion, la critique qui se contente d’informer n’aide pas les artistes à se dépasser.

(1) Lire également la chronique d’Emmanuel Fessy.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°525 du 7 juin 2019, avec le titre suivant : Le tournant moralisateur dans l’art

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