Société

Le salut par la culture

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2022 - 660 mots

Même si, assurément, la plupart des Français ne s’en rendent pas compte, Arles n’est vraiment pas une ville comme les autres.

Pas seulement parce qu’elle est la plus grande commune de ce pays – sept fois la taille de celle de Paris… –, ou parce qu’elle a été à plusieurs reprises rien moins que la capitale de l’Empire romain, mais parce qu’aujourd’hui elle est sans doute le plus remarquable exemple d’une collectivité publique qui, confrontée à une situation économique violemment déprimée, cherche son salut dans la culture.

Les touristes qui visiteront Arles cette année n’auront en effet pas seulement en main la liste de monuments historiques que peut offrir une cité marquée par la présence romaine et par une chrétienté précoce, avec un théâtre, un amphithéâtre, une nécropole, la basilique Saint-Trophime : ils auront la chance de découvrir une offre muséale sans équivalent pour une sous-préfecture de cinquante mille habitants, couronnée en un an par l’ouverture ou la réouverture de trois lieux remarquables. Toute la gamme s’y retrouve : le plus riche musée français d’histoire antique – le Musée départemental Arles antique –, illustré par plusieurs découvertes récentes issues des fouilles subaquatiques du Rhône ; le prototype du musée d’ethnographie régionale – le Museon arlaten –, rouvert l’an dernier, qui a fait le choix subtil d’une muséographie au second degré, rendant hommage à deux générations de muséographes ; le type achevé du « musée des beaux-arts » local – le Musée Réattu –, qui se paye le luxe d’exposer aux yeux de son public une poignée de Picasso en même temps qu’un christ médiéval capable de rivaliser avec les plus grands. Le tout couronné par un musée monographique, ouvert il y a deux mois, consacré à l’un des artistes d’Asie les plus en vue, le Coréen Lee Ufan.

Mais c’est loin d’être tout. Cette ville abandonnée par l’industrie a vu se pencher sur elle depuis un demi-siècle plusieurs fortes individualités qui, chacune à leur façon, ont laissé une empreinte indélébile dans l’espace culturel de la cité. Le statut d’Arles comme capitale française de la photographie vient d’un enfant du pays, Lucien Clergue [1934-2014]. C’est à la réussite des Rencontres lancées par lui en 1970 que la ville a dû l’implantation ultérieure sur son territoire de l’École nationale. C’est à Arles qu’Hubert Nyssen a créé, à la fin de cette même décennie, ce qui est devenu, sous le nom d’Actes Sud, la principale maison d’édition régionale de ce pays connu pour son jacobinisme. L’inauguration, il y a un an, de la tour dessinée par Frank Gehry pour la fondation Luma a parachevé un projet de mécénat d’une ampleur sans précédent dans ce pays connu pour son étatisme, dont la première étape avait été, il y a une dizaine d’années, la Fondation Vincent Van Gogh, placée désormais sous la présidence de la même Maja Hoffmann à l’origine de Luma.

On le voit : cette concentration d’énergie créatrice est d’une ampleur exceptionnelle. Suffira-t-elle à métamorphoser cette ville pauvre, symbole d’une économie en crise, en une exemplaire capitale de la culture ? Le pari n’est pas encore gagné. L’enjeu, au reste, dépasse le cas arlésien. Il en va en effet ici d’un vieux rêve, familier à la France, où l’art et aussi la science – car Lukas, le père de Maja, a été à partir de sa chère Camargue l’un des pionniers de l’écologie politique – s’uniraient pour lancer le cercle vertueux du monde de demain. Une autre Arlésienne aidera peut-être à prendre un peu de recul par rapport à cette effervescence. Elle s’appelle Véra Michalski. Elle est la sœur, discrète, de Maja. Son mécénat à elle s’exerce dans le domaine de la littérature et de la pensée spéculative ; son expertise initiale a porté sur les écrits de ce continent tragique qui s’étend de l’Allemagne à la Russie en passant par la Pologne ou l’Ukraine. Elle est bien placée pour pressentir que, s’il est beau d’enchanter le monde, il peut être vital de le comprendre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°591 du 10 juin 2022, avec le titre suivant : Le salut par la culture

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