Automnale et opportune, l’exposition « Sous la pluie. Peindre, vivre et rêver » du Musée d’arts de Nantes a pour grande vertu de rappeler que la contemplation esthétique n’engage pas tant un savoir mais avant tout une émotion sensorielle.
L’expérience de la pluie est justement l’une de ces sensations inoubliables. Qui n’a jamais intensément ressenti et apprécié l’odeur du pétrichor, ce néologisme un peu ingrat inventé par une chimiste et un minéralogiste désignant l’effluve émanant d’un sol mouillé, terreux ou urbain ? Une odeur qui nous relie, sans détour, à ce que l’on a de plus primitif – la pluie étant, depuis la nuit des temps, un bienfait de la nature pour l’être humain… Il y a une tendance forte aujourd’hui à vouloir, par le biais des expositions, élargir le domaine des sensations. La vue est le sens le plus convoqué, évidemment, mais on note un accroissement particulièrement marqué des processus dits immersifs : enveloppants, souvent plus proches de l’expérience cinématographique que de l’expérience muséale conventionnelle, et convoquant également les sens auditifs dans des compositions sonores sophistiquées. Les autres sens ne manquent pas non plus à l’appel : le toucher, autrefois destiné aux ateliers pour enfants dans les musées, est de plus en plus autorisé, voire sollicité. Sans oublier l’odorat : les odeurs accompagnent certaines expositions, voire en sont le motif principal, comme celle du Palais de Tokyo avec les créations olfactives du parfumeur Francis Kurkdjian (« Parfum, sculpture de l’invisible », jusqu’au 23 novembre).
De manière générale, l’exposition de nos jours, y compris dans son acception la plus traditionnelle, ne doit plus simplement être scénographiée, mais aussi scénarisée. Il n’est pas de musées ou de centres culturels qui ne communiquent sur leurs nouveaux parcours, sur leurs nouvelles expériences de visite, délaissant de plus en plus l’angle savant, voire cérébral. Il est vrai que l’on a parfois frisé la caricature dans ce domaine. La tradition française en la matière est symptomatique : des expositions exhaustives conçues dans l’héritage de l’humanisme classique et des Lumières, qui s’appuient sur des thèses « curatoriales » (chronologie, influence et filiations) et sur des démonstrations argumentées. Cette manière de privilégier l’élévation intellectuelle du visiteur à son engagement émotionnel consacrait encore, jusqu’à récemment, la primauté de l’esprit sur les sens.
Or cette pratique laisse peu à peu la place à une vision de l’exposition comme expérience vécue, reposant davantage sur l’interaction, l’éveil aux émotions et la stimulation de la curiosité. En cela, elle rejoint une tradition anglo-saxonne très forte, souvent décrite comme un visitor-centered design, où le public est moins un élève qu’un partenaire, où la vérité du commissaire ne s’oppose pas à la diversité des interprétations et au dialogue culturel.
Les nombreuses expositions thématiques (« Le sommeil » au Musée Marmottan-Monet, « Sous la pluie » à Nantes, « Sages comme une image ? » à Bordeaux) ou les parcours comme la Galerie du Temps du Louvre-Lens sont les reflets de cette nouvelle dynamique. Sans se départir de leurs fondements savants, elles illustrent à leur manière ce que le poète Rainer Maria Rilke (1875-1926), notamment dans ses Lettres sur Cézanne, décrivait comme une tension incessante entre savoir et sensation, entre pensée et émotion, qui transforme la contemplation des œuvres en expérience existentielle : l’art ne nous montre pas quelque chose, il nous révèle à nous-mêmes, en train de sentir et d’être là. Sous la pluie.
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Le défi du sensible
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°790 du 1 novembre 2025, avec le titre suivant : Le défi du sensible







