Art contemporain

Le couteau multifonction de... Nicolas Daubanes

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 27 janvier 2021 - 599 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci Nicolas Daubanes.

Fétiche -  Son accent du Sud et son goût immodéré pour les bords de la Méditerranée restent intacts chez ce gaillard au physique solide et aux paroles précises. Diplômé en 2010 avec félicitations des Beaux-Arts de Perpignan, Nicolas Daubanes vit depuis deux ans à Marseille. L’œuvre qu’il a exposée l’automne dernier au Palais de Tokyo l’a propulsé, à 37 ans, sur la scène parisienne. Il y montrait deux grands dessins muraux réalisés à la poudre d’acier aimantée, un de la mairie de Paris détruite pendant la Commune de 1871, un autre du ministère des Finances en flammes durant la même période. Gravats et tas de poussière au sol donnaient l’impression que l’insurrection venait de se dérouler. Daubanes place son travail sous le signe de la résistance : « Je cherche, dit-il, à créer des situations fortes qui permettent de trouver un moyen d’évasion dans un environnement contraint. Pour moi, un artiste, c’est celui qui découvre la faille dans un système clos. »

Par l’usage de techniques mixtes et de mises sous tension, ses pièces naissent d’une action, d’une intervention faite en amont ou encore d’une résidence dans des lieux dont il a exploré la mémoire collective. Autrement dit, chez lui, l’esthétique procède d’une éthique. Ainsi, par exemple, pour évoquer les méthodes des résistants qui sabotaient volontairement les digues durant la Seconde Guerre mondiale, a-t-il réalisé des murs-sculptures en béton mélangé avec du sucre. Et, actuellement, afin de remémorer l’opération contre le maquis menée par les Allemands dans le Lot-et-Garonne au printemps 1944, notamment à Lacapelle-Biron dont les hommes entre 18 et 60 ans ont été déportés dans les camps de Dachau et de Mauthausen, il organise des rencontres avec la maire et les associations locales. Concernant son objet fétiche, il prend des précautions et l’évoque comme une fatalité, le résultat d’un enchaînement de hasards : « Tout bien réfléchi, mon objet fétiche est un couteau. Pourtant, je ne suis pas fasciné par les armes, et, dans le contexte actuel, vanter les mérites de cet objet peut paraître suspect ! Mais c’est finalement un élément essentiel à ma pratique artistique. Et ça ne date pas d’hier. Je me souviens qu’en entrant aux Beaux-Arts de Perpignan, le jury m’avait demandé quel outil j’emmènerais sur une île déserte. Et, comme je venais de m’acheter un couteau suisse, la réponse m’est venue comme une évidence. » Il ajoute : « Un peu plus tard, j’ai acquis le plus sophistiqué des couteaux Leatherman possédant, entre autres, une grosse pince, une scie, des embouts de tournevis et même une pierre qui fait des étincelles afin d’allumer un feu. Une véritable boîte à outils ! Je me souviens également, lorsque j’étais professeur, d’un étudiant qui, en fin de cycle, m’avait offert un couteau de pêche, et de différents couteaux que moi-même, à l’occasion, j’ai pu m’acheter, si bien que je possède finalement une petite collection. » Le couteau aux multiples fonctions agirait-il alors comme métaphore de l’artiste contemporain ayant besoin d’avoir plusieurs cordes à son arc ? « C’est certainement un élément permettant de faire face à toutes sortes de problématiques. Il permet de s’adapter à différentes situations. L’idée de survie joue également un rôle dans l’intérêt que je porte à cet objet. J’ai perdu mes parents à l’âge de 19 ans, et lorsque j’ai récupéré le bonsaï de mon père ouvrier, n’arrivant pas à en prendre soin comme lui le faisait, j’ai fait tailler dans le bois des manches de couteau plutôt que de le jeter. Ça m’est venu naturellement. La plus belle manière de lui rendre hommage. »

Les œuvres de Nicolas Daubanes sont visibles à Pollen, à Monflanquin (41), jusqu’au 12 février 2021 ; à Omnibus, à Tarbes (65), jusqu’au 13 février ; à la Crypte à Orsay (91), du 5 février au 7 mars 2021, et au château du Val Fleury à Gif-sur-Yvette (91), du 2 mars au 25 avril 2021.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°741 du 1 février 2021, avec le titre suivant : Le couteau multifonction de... Nicolas Daubanes

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