La peinture, après la fin de la peinture

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 28 janvier 2015 - 546 mots

« Je ne peins pas des gens, je peins des images. Mais c’est l’époque des images, pas celle de la peinture. Les gens préfèrent regarder des images plutôt que des peintures », déplore Marlene Dumas, interrogée à l’occasion de son exposition, « The Image as Burden » (L’image comme fardeau), à voir à la Tate Modern après avoir été présentée au Stedelijk Museum.

Et pourtant, ce samedi 17 janvier après-midi, il y avait « des gens » en banlieue parisienne, à Pantin, à la Galerie Thaddaeus Ropac pour écouter converser Jean-Marc Bustamante et Éric de Chassey, historien de l’art et directeur de l’Académie de France à Rome-Villa Médicis à propos « d’Un nouvel espace dans la peinture », dans le cadre de l’exposition « Eurasia. A View On Painting » et de la parution du catalogue rédigé par Norman Rosenthal. Certes, il n’y avait pas la foule qui se pressait à quelques encablures pour découvrir le nouveau bâtiment de Jean Nouvel, ni un public aussi diversifié que l’ambitionne la Philharmonie, mais qu’une galerie réussisse à organiser et faire venir du monde à une telle discussion ne peut qu’interpeller l’institution publique sur la force d’initiative croissante des structures privées, galeries ou fondations. Éric de Chassey rappelait que jusque dans les années 1960 « l’essentiel de l’art se déroulait dans la peinture et dans la forme du tableau », puis que le milieu français de l’art – critiques, historiens, musées, marché, écoles ensuite – a boudé ce medium. C’était l’amorce du cycle de la fin de la peinture – un medium ayant épuisé tous ses sujets, ses modes d’expression et apparitions de la performance, de l’installation, de la vidéo… –, les difficultés en corollaire pour une génération d’artistes situés entre Martin Barré et Jules de Balincourt, enfin aujourd’hui un retournement, une nouvelle phase du cycle « confuse et intéressante, où il n’y a plus de règles, où les choses se brouillent et se débrouillent », selon les mots de Jean-Marc Bustamante. Contrairement à d’autres medium, la peinture conserve la singularité de devoir se poser la question de sa relation avec l’histoire, d’exiger, particulièrement à notre époque d’immédiateté, un « ralentissement du regard, une mise à distance » (Éric de Chassey). Il est vrai que Bustamante a suivi un chemin singulier, venu de la photographie et parti ensuite rechercher d’autres modes de représentation comme de grandes sérigraphies sur plexiglas qu’il a baptisées tableaux. Son parcours d’enseignant l’est également : s’il est chef d’atelier à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, où il accueille avant tout des étudiants pratiquant installation, vidéo, photographie, il est aussi « professeur de peinture » à l’Académie des beaux-arts de Munich. Dans cette ville, ses élèves peuvent voir les tableaux de puissantes références, qui exercent sur eux leur pouvoir d’émulation, Baselitz, Polke, Richter… L’École de Paris, Supports/Surfaces ont peu intéressé hors de France et ne peuvent offrir, selon lui, cette génération référentielle. En octobre dernier, lors du colloque « La fabrique de la peinture » au Collège de France, Jules de Balincourt, était interrogé sur les conseils à donner à un jeune artiste : « quitter la France », avait répondu aussitôt celui qui a fait ses études aux États-Unis où il vit toujours. Là également, l’institution a donc encore un rôle à jouer.

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Le Stedelijk Museum © Photo PHOTOGRAPHE - 2007 - Photo sous Licence Domaine public via Wikimedia Commons

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : La peinture, après la fin de la peinture

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