Le premier mérite du nouveau film d’Amos Gitaï, Pourquoi la guerre ?, est de remettre en lumière un petit ouvrage qui n’a rien perdu de son acuité.
En 1932, Albert Einstein, déjà très engagé en faveur du désarmement et de la paix, accepte une proposition de la Société des Nations (SDN) : correspondre avec un intellectuel sur un sujet de son choix. Il opte pour Sigmund Freud et lui demande d’échanger sur « une question qui, en l’état présent des choses, m’apparaît comme la plus importante dans l’ordre de la civilisation : existe-t-il un moyen d’affranchir les hommes de la menace de la guerre ? » Einstein rédige une courte lettre, qui recevra une réponse trois fois plus longue de Freud. Leur échange épistolaire formera un livre, publié sous le titre qu’a repris Gitaï pour son film.
Comment alors Amos Gitaï met-il en images cette brève mais grave correspondance et surtout comment représente-t-il la guerre ? Questions d’autant plus larges que l’Israélien n’est pas seulement cinéaste de documentaires, de fictions mais a construit une œuvre polymorphe, comme plasticien, écrivain, auteur de théâtre… Sa formation initiale était l’architecture qu’il a abandonnée en 1973 après avoir été mobilisé durant la guerre du Kippour et avoir frôlé la mort à l’âge de 23 ans. En quelque sorte, c’est la guerre qui l’a fait bifurquer.
Désigner sans exhiber. Voilà, le deuxième mérite du film. Dénoncer la guerre, les conflits actuels, mais sans les montrer. Nulle image de combats, de massacres, de destructions. Autrefois, des artistes représentaient les désastres : Goya, un exemple manifeste, dont le film montre peintures et gravures, comme un pêle-mêle, une accumulation. Mais aujourd’hui, nul besoin de décrire la guerre, chacun en connaît les images. Il est plus important de s’interroger sur le sens, l’impact de ces images, vues en boucle, banalement à la télévision et sur les réseaux sociaux. De réfléchir sur leur instrumentalisation par chaque camp pour poursuivre les combats meurtriers. Absence d’images, mais forte présence du son, des bruits de la guerre, de musiques répétitives, stridentes. Comme autrefois, le réalisateur alterne fiction et documentaire. Le film s’ouvre par une scène en costumes d’époque, ceux de l’Antiquité, opposant Romains et Juifs. Gitaï précise que les oppresseurs sont joués par des Israéliens et leurs victimes par des Palestiniens. Retour au documentaire, avec un plan où la caméra avance très lentement à travers le banquet fantôme de Tel-Aviv. Cette interminable table dressée en octobre 2023 en plein cœur de la ville pour manifester l’absence des otages.
Einstein et Freud sont campés dans un théâtre imaginaire, chacun développe ses arguments. Pour le physicien – acteur dans sa loge, se maquillant avant d’entrer sur une scène que nous ne verrons jamais – empêcher la guerre apparaît simple, tout d’abord. Il suffit que les États créent une organisation supranationale puis s’y soumettent en abandonnant une part de leur souveraineté. Mais, tout homme a en lui un besoin de haine et de destruction. Comment alors diriger son développement psychique ? Le psychanalyste est beaucoup plus circonspect. Inutile de prétendre supprimer les penchants destructeurs des hommes puisque ces pulsions sont liées à celles d’Éros. Au mieux peuvent-ils être canalisés, grâce à la culture. Peut-être… Le Freud de Gitaï devient de plus en plus pessimiste. Quelques mois après la publication de l’ouvrage précité, le Reichstag était incendié, les autodafés encouragés, Hitler nommé chancelier. « Les artistes ne peuvent pas remplacer les politiques. Le cinéma ne peut pas faire grand chose, reconnaissait lucide Amos Gitaï lors d’une avant-première en mai à la Cinémathèque française, mais il conserve la mémoire. » Lui tente d’être cet « architecte de la mémoire » , comme s’intitulait son exposition en 2014 à la Cinémathèque. Pourquoi la guerre ? sortira en salles à la rentrée.
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La guerre : Einstein, Freud et Amos Gitaï
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : La guerre : Einstein, Freud et Amos Gitaï