Inversion des valeurs

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 341 mots

Les commanditaires du rapport sur le PIB culturel souhaitaient faire prendre conscience à l’opinion, qui le sous-estime, le poids économique de ce secteur pris au sens large. Le rapport annuel d’Art Economics commandé par la foire Tefaf de Maastricht provoque l’effet inverse. Les données sont connues depuis les premières éditions, mais elles laissent toujours songeur. Avec un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros, le poids du marché de l’art en France équivaut au budget du ministère de la Culture (2,6 milliards), tandis que les 47,4 milliards d’euros du marché de l’art mondial pèsent autant que le seul budget de l’Éducation nationale en France (45,1 milliards d’euros). Il y a un décalage entre l’importance que l’on attribue à ce marché et son poids réel, même s’il n’est pas négligeable pour autant. Si le rapport met bien en évidence la formidable montée en puissance des maisons de vente aux enchères (Christie’s et Sotheby’s représentent à elles deux 28 % du marché total), il ne dit rien du paradoxe qui touche la structure de leur création de valeur. Celle-ci repose essentiellement sur leurs experts et la presse. Leurs spécialistes qui connaissent bien la collection de leurs clients sont ainsi en capacité de les convaincre de vendre ou d’acheter une œuvre. La presse, qu’elle soit généraliste ou spécialisée, en servant trop souvent la soupe aux auctioneers et en flattant l’ego de leurs clients, augmente le désir pour les œuvres mises à l’encan et donc la demande dans un marché marqué par une offre réduite. Or, dans la distribution des revenus ainsi créés, contrairement au secteur culturel, ce sont ceux qui en ont le moins besoin, les actionnaires et les vendeurs en général fortunés, qui en profitent le plus dans des proportions anormales. Les deux rivales ne cessent de diminuer les frais à la charge du vendeur pour pouvoir décrocher telle ou telle affaire, tandis que Sotheby’s a récemment annoncé qu’elle allait reverser 450 millions de dollars à ses actionnaires. Cette inversion entre la création et la redistribution de valeur n’est pas tenable à long terme.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Inversion des valeurs

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