Il faut sauver le soldat National Gallery

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2015 - 692 mots

Gabriele Finaldi, actuel directeur-adjoint du Prado qui prendra ses fonctions de directeur de la National Gallery le 17 août, trouvera une bombe sous son bureau, un projet absurde qui briserait l’un des atouts de ce grand musée londonien.

Quelques mois avant de quitter son poste à Trafalgar Square, Nicholas Penny a annoncé un bien étrange « plan de modernisation » : le transfert du personnel d’accueil et de surveillance, ainsi que de celui chargé des visites éducatives à une société privée, ICS, spécialisée dans le gardiennage de bureaux et bâtiments. 400 des quelque 600 employés seraient concernés. Sur le papier, rien ne changerait pour eux, assure le directeur, ceux-ci conserveraient leurs traitements et avantages sociaux. Pour justifier cette « modernisation », il argue de la baisse de subvention de 15 % depuis 2011 et de la nécessité de trouver de nouvelles ressources en multipliant les événements commerciaux ainsi qu’en élargissant les horaires d’ouverture des expositions « blockbuster ». L’argument n’est pas recevable. Les autres grandes institutions londoniennes, le British Museum, la Tate Britain, la Tate Modern… sont confrontées à la même réduction de l’argent public et parviennent à développer une politique commerciale sans pour autant devoir bouleverser le statut de leur personnel. La National Gallery est incapable, en outre, d’indiquer l’économie qu’une telle mesure engendrerait sur sa masse salariale, sans doute n’en y aurait-il pas, d’ailleurs.

Nicholas Penny n’a jamais caché que, directeur, son intérêt se portait avant tout sur la conservation des œuvres, sur l’histoire de l’art et que le management du personnel était peu sa tasse de thé. Cette « modernisation », portée par quelques trustees [ndlr, administrateur] partisans ardents du libéralisme de David Cameron et hostiles au service public, forcément inefficace et gaspilleur, ignore totalement l’histoire de ce musée et ce qui en a fait l’une de ses richesses : une loyauté sans faille du personnel et la qualité exceptionnelle de son accueil. Bien sûr, nombre de musées ont externalisé leur gardiennage mais ce sont des institutions nouvelles ou rouvrant après des années de fermeture. Il ne s’agit pas de contester le professionnalisme de gardiens « privés » ni d’oublier les défaillances de gardiens « publics », mais à la National Gallery ce service dépasse largement la seule surveillance. Dans quel labyrinthe muséal peut-on vous dire avec tant de précision et de sourire où se trouvent l’Apollon et Daphné d’Antonio del Pollaiuolo, le Portrait de Cornelis van der Geest de van Dyck ? Et s’ils manquent ou si la salle est fermée, un « I’m so sorry » vous indiquera pourquoi et quand le tableau sera raccroché ou quand la salle rouvrira. Ces gardiens aiment leur métier et en sont fiers, alors ils accueillent un visiteur tout simplement comme ils le recevraient chez eux. Quoi de plus naturel dans la vie quotidienne d’un musée et de ses visiteurs et c’est pourtant cette évidence qui se dissout aujourd’hui dans bien des institutions et qu’une telle « modernisation » ne va certainement pas encourager. Transférer le personnel à ICS équivaudrait à pouvoir l’affecter indifféremment chaque jour, au gré des besoins, à une banque un jour, à un supermarché le lendemain, à la National Gallery le surlendemain… Fin de la fidélité, tous les lieux deviendraient équivalents et mériteraient le même gardiennage. Insulte au personnel qui avait délibérément choisi ce musée. Un musée qui justement depuis sa création accorde un prix à l’accueil des visiteurs : leur réserver la gratuité de l’accès à ses collections.

Ce projet s’en prendrait donc, en fait, à la conception originelle et originale de la National Gallery. En août, Hannah Rothschild deviendra la première femme à présider le board [ndlr, conseil d’administration] des trustees. Dans ses objectifs, elle a placé le maintien de la gratuité. Quant à Gabriele Finaldi, sa nomination a été proposée par les trustees, et David Cameron l’a entérinée  le 18 mars. Avant Madrid, il a travaillé dix ans à la National Gallery comme conservateur des peintures italiennes et espagnoles. Espérons que sa connaissance du musée lui fera reconnaître ses exceptionnelles qualités « maison ». Pour l’heure, à Trafalgar Square, l’accès aux collections est perturbé par des grèves, en février et comme ces derniers jours.

Légende photo

National Gallery © Photo Diego Delso - 2014 - Licence CC BY-SA 4.0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Il faut sauver le soldat National Gallery

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