États-Unis - Société

Éditorial

Harvard doit affronter son passé esclavagiste

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2025 - 592 mots

Les difficultés se multiplient pour Harvard. Depuis avril, Donald Trump l’attaque tous azimuts et sans répit.

Par ailleurs, le musée de la prestigieuse université doit se séparer de 15 daguerréotypes, faisant partie des plus anciennes photographies connues d’esclaves. Six années de procédure, animées par des débats émotionnels durant lesquels l’institution a dû assumer son lien à l’esclavage, direct ou indirect via des accords financiers, et discuter du droit des esclaves à une propriété culturelle.

En 1850, le paléontologue suisse Louis Agassiz (1807-1873) enseigne à Harvard. Il se fait surtout connaître par son opposition à son contemporain, Charles Darwin, et à sa théorie de l’évolution. Pour soutenir sa défense du polygénisme, il fait photographier cinq hommes et deux femmes, esclaves dans une plantation de Caroline du Sud. Corps à demi dénudés, de face, de profil, les daguerréotypes se veulent la preuve d’une infériorité raciale. Les asservis ne sont identifiés que par leurs prénoms. Parmi eux, Renty capturé au Congo et sa fille Delia.

En 2019, une Afro-Américaine, Tamara Lanier, décide de poursuivre en justice Harvard pour réclamer ces daguerréotypes ainsi que le montant des droits de reproduction perçus par l’université. Durant son enfance, sa mère lui a parlé de son ancêtre, Renty. Elle a effectué ensuite des recherches généalogiques, particulièrement ardues concernant des esclaves qui néanmoins la convainquent qu’elle est bien sa descendante. Un tribunal la déboute : une photographie appartient à son auteur, à son commanditaire, pas à son sujet ou ses descendants. L’affaire émeut la communauté d’Harvard, pas la direction dont la désinvolture est critiquée. Des chercheurs, des étudiants soutiennent Tamara Lanier. Ils plaident pour une remise en cause de la législation sur la propriété. Ces daguerréotypes ne peuvent être assimilés à des portraits. Il n’y a eu aucune demande, aucun consentement de Renty et Delia. Ceux-ci ont été pris en otages par Louis Agassiz qui voulait des « spécimens de recherche ». Après l’abolition de l’esclavage, un ancien asservi n’a reçu aucune compensation matérielle, il est devenu uniquement propriétaire de son corps et de son image. Agassiz n’a donc aucun droit légal sur ces daguerréotypes volés aux esclaves et ne pouvait les remettre à Harvard.

Un rebondissement de procédure a mis fin à cette discussion qui pourrait cependant resurgir dans d’autres cas. En 2022, une juridiction d’appel du Massachusetts estime qu’Harvard a fait preuve de négligence à l’égard de la requête de la plaignante et lui a causé « une détresse émotionnelle ». La direction de l’université devient plus amène, bien qu’elle estime toujours ne pouvoir admettre la filiation de Tamara Lanier. Elle accepte de négocier. Tous les daguerréotypes vont être transférés à l’International African American Museum à Charleston, en Caroline du Sud, ouvert en 2023. Voilà un épilogue plus satisfaisant. Il ne fragmente pas la série, il la confie à un musée plus à même qu’une personne privée de conserver des pièces très fragiles et de les présenter à un large public dans leur contexte.

La souffrance des esclaves a occupé le débat public, parfois de manière extrême. En réparation, il a été recommandé de ne plus publier ces images dégradantes figeant les Noirs dans un éternel état d’esclave. Comme s’il était approprié d’effacer des aspects insoutenables de l’Histoire. Cette position méconnait aussi d’autres daguerréotypes de 1850. Ceux montrant par exemple l’Afro-Américain, Frederick Douglass (1817 ou 1818-1895), esclave qui, lui, avait pu s’échapper et devenir un célèbre abolitionniste. L’installation vidéo d’Isaac Julien (Lessons of the Hour, 2019) l’a remis en lumière. Il posait élégamment vêtu car il avait compris qu’un portrait pouvait combattre les stéréotypes racistes. Ne vaut-il pas mieux tout regarder ?

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Harvard doit affronter son passé esclavagiste

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque