Exposition - Foire & Salon

Fête & Faute

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 27 septembre 2022 - 873 mots

Fête -  La première édition du salon Design Miami Paris, qui devait se tenir en octobre en marge de Paris+, n’aura finalement pas lieu. Redoutant pour la sécurité de l’événement, le préfet de Paris en a interdit la tenue. En d’autres temps pas si lointains, cette nouvelle aurait secoué le monde de l’art. Émanation du prestigieux salon de design créé en 2005 en Floride, Design Miami Paris devait en effet réunir les meilleurs marchands internationaux place de la Concorde. Or, qui s’en soucie aujourd’hui ? Il faut reconnaître que Paris a de quoi se consoler cet automne. Foires, salons, expositions, événements… Le monde a les yeux rivés sur la ville dont la riche programmation culturelle ne souffre aucune comparaison. Pourtant, qui aurait parié sur la capitale déchue il y a encore quinze ans, quand tout se passait à New York et à Londres et que les regards étaient davantage tournés vers la Chine que vers la France ? Que de chemin parcouru depuis ! Revenue au Grand Palais en 2006, la Fiac, dont il faut ici saluer le travail, a redonné du lustre à Paris, où de grandes fondations privées ont ouvert depuis leurs portes (la Fondation Louis Vuitton en 2014, la Bourse de commerce – Pinault Collection en 2020, la Collection Al Thani en 2021 et, bientôt, le déménagement de la Fondation Cartier au Louvre des antiquaires). Parallèlement, de puissantes galeries internationales y sont venues s’installer : Gagosian en 2010, Zwirner en 2019, Continua en 2022 avant, en 2023, l’influente Hauser & Wirth, rue François-1er. Dans le même temps, le marché de l’art en Chine a déçu quand le Brexit a affaibli la place de Londres. Un alignement des planètes qui a convaincu la puissante foire d’art contemporain Art Basel de s’implanter, elle aussi cette année, à Paris, au Grand Palais éphémère, en date et place de la Fiac. Le nom qu’elle a choisi pour sa nouvelle foire ne doit rien au hasard : Paris+, qui entend capitaliser sur la désirabilité retrouvée de la Ville Lumière tout en lui faisant franchir une marche supplémentaire à l’international. « Il n’y a jamais de fin à Paris […]. Paris valait toujours la peine, et vous receviez toujours quelque chose en retour de ce que vous lui donniez », prévenait déjà Hemingway dans Paris est une fête. Car, oui, Paris est redevenue une fête, celle de l’art.

Faute -  L’art est une fête, c’est entendu. Mais cette fête est-elle pour autant « foraine » ? C’est le postulat de la nouvelle exposition du CentQuatre intitulée « Foire foraine d’art contemporain » ou « FFAC ». La promesse est forte (« Pendant près de cinq mois, le CentQuatre-Paris devient un véritable parc d’attractions artistique au sens littéral du terme ») et l’intention louable (« Une exposition pour attirer, créer du désir et de la folie par le biais de l’art contemporain »). Quant au casting, il parle de lui-même : Adel Abdessemed, Pierre Ardouvin, Lilian Bourgeat, Pablo Cots, Hervé Di Rosa, Leandro Erlich, Subodh Gupta, Invader, Julio Le Parc, Julien Salaud, Pascale Marthine Tayou ou Winshluss, parmi d’autres artistes. L’idée est originale : elle consiste à ne plus être passif face aux œuvres mais, au contraire, à faire l’expérience du partage de l’art et le plein de « sensations fortes ». D’ailleurs, préviennent les commissaires, il ne s’agit pas que d’une exposition mais d’un « tourbillon d’attractions ». Le résultat est à la fois ludique et joyeux, et – ce n’est pas la moindre de ses qualités – instagrammable. Le concept de « foire foraine » est poussé si loin que le visiteur doit se munir, pour accéder aux « attractions », de jetons qu’il peut acheter par pack de 4 ou de 8, après avoir reçu 20 jetons avec l’achat de son ticket d’entrée. Le sujet est sérieux. Si les surréalistes, Breton en tête, fréquentaient les fêtes foraines où ils se faisaient portraiturer dans les Photomatons, les artistes actuels voient dans l’univers forain l’opportunité de souligner les inepties de nos sociétés. En nous installant seul dans une auto-tamponneuse sur une ridicule piste de 4 x 3 m, Pierre Ardouvin ne nous fait-il pas porter un regard désabusé sur le monde (Love Me Tender, 2001) ? La dernière vidéo réalisée par Mali Arun pour la Biennale d’art contemporain de Lyon n’est pas moins désenchantée. Présentée au Musée de Fourvière, Wunderwelten (Monde des merveilles) filme le visage d’un jeune garçon androgyne embarqué dans un grand huit, dont la palette extraordinairement étendue des émotions va de la peur à la jouissance, en passant par l’extase quasi mystique – impossible de ne pas penser au Bernin. Des émotions bien réelles mais aux origines si artificielles qu’elles en deviennent dérangeantes. En donnant aux œuvres un statut de simples attractions, la FFAC prend donc le risque de leur faire perdre leur portée critique, comme elle prend le risque d’alimenter un discours ambiant qui voit, dans l’art contemporain, un simple phénomène de foire. Pire, elle fait aussi croire que l’art ne serait pas « grave ». Invitée de l’émission La grande table d’été, en juillet sur France Culture, Hélène Delprat pensait bon de préciser que ce n’est pas parce qu’ils participent à un festival que les artistes sont des « animateurs ». « Nous ne sommes pas là pour amuser la galerie, non plus », disait-elle. Une évidence qu’il est malheureusement bon de rappeler avant d’aller « s’amuser » à la FFAC.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Fête & Faute

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque